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Vivez pleinement les saisons de votre vie.

Le 29 Août 2019 La Tuilerie-de-Vezon.

Une journée très tranquille, sans souci, la tête en balade. Nous venions de quitter une sorte de voie verte lorsque nous nous engageons sur une petite route de campagne.

Une voiture arrive et s’arrête à notre niveau. Une jeune femme nous interpelle. J’étais vraiment déconnecté, égaré dans ma sphère imaginaire. Un bel endroit toujours en formation. Tout comme l’univers d’ailleurs. Je reviens enfin sur terre. Nous échangeons quelques mots, puis Charlotte me dit que je peux aller chez elle et son copain. Elle a un terrain pour Cabotte et moi. Vue l’heure avancée de l’après midi, je trouve que c’est une bonne proposition.

Nous nous dirigeons vers le lieu indiqué par Charlotte. C’est une belle et saine maison de pierres bien planté dans le sol. Ils m’invitent à boire une bière à l’intérieur. La pièce principale n’était pas tout à fait finie. Il y avait quelques cloisons de Placoplatre posées et des gaines électriques tombaient d’un peu partout. C’était encore en chantier. Ils avaient bossé dur. Benoît travaillait dans le bâtiment. Il possédait de bonnes bases.
Ensuite ils m’ont accompagné sur le terrain. Très bien le champ. Un peu plus tard, comme promis, Benoît m’a apporté, avec sa voiture, une citerne d’eau sur une remorque (celle-ci est restée sur place) et du foin dans deux grandes poubelles pour Cabotte. Il y avait de quoi tenir un siège. Lorsque Benoît s’en est allé, il m’a dit.
– Demain avant de partir tu viendras boire un café à la maison.
– À demain et merci pour tout.
Je me suis préparé tranquillement à manger. Ensuite bien calé, à la limite de l’étouffement ou du débordement (la semoule devait continuer de gonfler dans mon estomac, cuisson insuffisante) je me suis installé pour écrire jusqu’à la nuit.
Le lendemain je me présente chez Benoît et Charlotte. J’attends un bon moment. Personne ne bougeait. J’allais partir. Lorsque la porte d’entrée s’ouvre. Benoît à peine réveillé m’invite à entrer.
Charlotte était absente.
– Je suis désolé du retard. Je ne t’avais pas oublié. Je suis rentré tard hier soir.
– Ce n’est pas grave. Je suis content de te voir. Je n’aime pas m’en aller sans dire au revoir.
Tout en préparant le café, je sens Benoît soucieux, comme s’il avait en lui à gérer un problème insoluble, un ombre à chasser.
– Tu n’as rien remarqué de bizarre hier.
– Hier ! Bizarre ! Non, rien, vraiment. Rien. Ni vu ni entendu.
– Voilà, ce n’est pas simple à dire. Charlotte et moi sommes séparés depuis quelque temps. C’est récent. Je suis assez perturbé par cette séparation. C’est difficile de l’admettre, mais elle est partie avec un autre homme. Nous avons acheté cette maison parce qu’il y avait des terrains alentour pour les chevaux, ceux de Charlotte. Je ne comprends pas. Elle avait tout pour être heureuse. C’était un beau projet pour nous deux. Nous étions d’accord. Les bras m’en sont tombés lorsqu’elle m’a annoncé qu’elle était amoureuse d’un autre type. Elle n’avait rien à me reprocher de précis. Moi non plus d’ailleurs. Je n’ai rien vu venir.
– Vous vous connaissez depuis combien de temps ? Demandai-je juste par réflexe.
Ce genre de situation ne me préoccupe guère en temps normal. Je ne suis pas un spécialiste des affaires conjugales, de couples officiels ou pas. Mais là je me devais de faire un effort. Le désarroi de Benoît me l’imposait d’une certaine façon. Il me répondit.
– Depuis notre adolescence. Elle avait seize ans et moi dix-huit, nous ne nous sommes jamais quittés depuis. Nous faisions tout ensemble.
– Un amour de jeunesse tient rarement toute une vie. Vous étiez à moins de trente ans déjà un vieux couple de plusieurs années de cohabitation. La routine s’installe comme un acquis. C’est souvent le cas. C’est assez rapide si l’on ne reste pas vigilant.
– Je ne comprends pas. Je n’ai jamais ressenti cela avec Charlotte.
– Ce que je te dis peut être ne te concerne pas. Je poursuis : Alors un jour, elle ou lui rencontre une personne et en tombe éperdument amoureux pour des raisons qui lui sont propres. C’est fréquent. Cette liaison reste souterraine, un temps plus ou moins long, puis éclate au grand jour comme une évidence. C’est très violent surtout si tu n’as rien à reprocher à l’autre. Charlotte a fait le pas de te le dire. C’est courageux.
– C’est trop facile. Elle ne tient pas compte de mes sentiments pour elle, de ce que nous avons fait ensemble.
– C’est ce que tu crois. Ce n’est pas facile d’annoncer une telle nouvelle. Elle a eu le courage. Cela ne veut pas dire qu’elle a occulté une partie de votre vie commune. Elle aussi doit se sentir mal à l’aise. Mais elle a fait le choix de te quitter. Avec ou sans arguments.
– Je n’en reviens pas ! Ce n’est pas logique cette histoire.
– Je te répète, tomber amoureux n’a rien de logique. C’est un fait. Ce n’est pas une commande espérée ou préméditée. Ça te tombe dessus sans justifications. Le coup de foudre étant le plus inattendu, le plus puissant, le plus dévastateur et le plus éloigné de la raison. Le plus illogique aussi.
– Je n’y comprends rien. Elle me l’a dit et redit ; elle n’a rien à me reprocher. Elle ne m’accuse de rien. Elle avoue que nous avons passé de bons moments ensemble. Que dois-je faire ?
– Je n’en sais trop rien. Il me paraît que cette histoire soit trop récente. Il n’y a pas le feu au lac comme disent les Suisses. J’ai l’impression qu’elle est en pleine crise d’adolescence.
– Adolescence ! Crise ! C’est quoi cette théorie.
Je m’explique.
– Ce n’est qu’une hypothèse. Et comme toute hypothèse, il faut la vérifier en fouillant dans sa mémoire. Vous êtes passés, en vous installant très jeunes, de l’adolescence à la vie d’adulte sans transition. En voie directe et rapide.
– C’était très bien. Nous étions bien ensemble. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal en cela.
– Je n’en doute pas. Ce n’est pas en termes de bien ou de mal qu’il faut se positionner. C’est que vous avez vécu en couple trop tôt. Ce n’est qu’une impression. Vous avez zappé d’une certaine façon l’adolescence : sa démesure, ses inconséquences, ses incohérences, ses révoltes, ses idéaux, ses joies et peines grégaires, ses dangers, ses expérimentations et tentations diverses. En gros vous étiez adultes avant l’heure. Un jour sans prévenir ça casse. Tout dégringole. Il est important de vivre pleinement son adolescence. Sinon elle te rattrapera un jour, quel que soit ton âge. Même à quarante ans.
– C’est perdu alors pour moi.
– Pas sûr. Elle est partie voir ailleurs. C’est le nirvana pour l’instant. Elle ne maîtrise pas grand chose. Elle se laisse emporter par sa nouvelle vie. Elle a osé se lâcher. Une folie qui n’en est pas une, mais un besoin de renouvellement et de se sentir vivre autrement. Sortir de l’ordinaire, émoustiller ses sentiments en s’exposant à l’inconnu. Vivre ce qu’elle n’a pas vécu. Elle reviendra ou pas. Si elle revient, elle l’aura réfléchi, analysé, voulu, comparé; peut-être que toi, tu ne seras plus disponible. Le dénouement est imprévisible. La vie continue.
– Tu crois ?
– Je te le répète. Ce n’est qu’une hypothèse. Laisse faire le temps. Il décidera avec et pour toi. Le temps si tu sais le prendre à bon escient est de bon conseil.

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