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Une semaine pleine d’espoir

Le 26 Avril 2019 Saint-André de Majencoules,
Les 27 et 28 Avril 2019 Col du Mercou,
Le 29 Avril 2019 Saint-Jean du Gard.

Je suis donc reparti du Vigan sous un soleil timide. Enfin le revoilà. Je ne prends pas l’itinéraire prévu. Les sentiers sont impraticables et dangereux par endroit pour Cabotte. La plupart des sentiers ne sont plus entretenus ; surtout sur les hauteurs. Seuls les chasseurs semblent s’y intéresser encore et maintiennent un semblant de sentier accessible aux hommes. Les contrées sont infestées de sangliers. Cela est dû en partie au mélange des cochons domestiques avec les sangliers. Il y aurait plus de portées dans l’année… De plus il y a de la nourriture en abondance.
Je dois ménager Cabotte. Je vais donc passer plus au Sud des Cévennes. J’en ai marre de devoir rebrousser chemin. Les détours sont parfois de plusieurs kilomètres pour me retrouver là où je dois aller. J’improvise beaucoup avec plus ou moins de réussite. Le plus sûr, ce sont les chemins forestiers (jamais indiqués sur mes cartes I G N) et les routes, hélas bitumées, peu fréquentées par les voitures. Je n’ai guère le choix. C’est parfois un vrai casse-tête.

Cette partie des Cévennes est magnifique et sauvage. Je me laisse aller surtout que le beau temps est revenu. Enfin c’est relatif. J’ai pris une belle saucée au col du Marcou. Je dors sous la tente. Enfin la liberté. Je peux me laisser aller à la flânerie.
Ce sont des espaces immenses dans lesquels de temps en temps on traverse des hameaux où peu de personnes résident. Un désert rural parsemé de magnifiques bâtissent en pierre se dressent comme des rescapés d’un passé pas si lointain. La montagne a laissé partir sa population jeune. Et pourtant que la montagne est belle…
J’ai rencontré deux personnes qui restent encore accrochées au territoire de leur vie. J’ai passé peu de temps avec eux, mais en substance, ils m’ont livré le secret de leur longévité.

La première personne.
Je traverse un hameau qui me paraissait vide. J’entends du bruit dans une bâtisse. En sort une dame âgée mais très alerte. Elle était surprise de nous voir. Elle se met à discuter. J’en retiendrai ces quelques mots qui résonnent encore dans ma tête.
– Vous savez, mon mari et moi nous avons vécu ici toute notre vie. Nous sommes bien ici. Nous avons quelques amis de toujours aux alentours. Nous aimons ces lieux. C’est notre vie. Mon mari a travaillé dur sur cette terre ingrate. La terre a eu raison de lui. La terre est basse. Il était beau, gentil, vaillant, et fort. C’est ce que l’on demandait aux hommes à l’époque. Il s’est usé au travail. Il est plus âgé que moi. J’ai 73 ans et lui 82. Mais nous sommes encore là tous les deux. Où voulez-vous que l’on aille ? Nous avons une petite retraite. Elle nous suffit largement. Nous vivons avec ce que nous avons et avons peu de besoins.
Je ne pourrais pas vivre comme font les jeunes qui ont quitté le pays pour aller vivre en ville dans des appartements si petits que l’on se marche dessus. Hélas, ils vont là où se présente le travail. En général, ils font de bonnes et solides études, mais ne peuvent pas rester ici. De temps en temps nous en revoyons certains avec leurs enfants.
Notre fils est resté, il cultive des oignons doux des Cévennes, ils sont croquants et fermes, pour les salades c’est délicieux. Lui aussi il est bien ici. Il le dit et le pense. C’est bien pour lui. Nous sommes heureux pour lui.
Avant de partir je jette un dernier un coup d’œil dans l’environnement de cette femme. Partout, des escaliers en pierres sèches pour aller d’une terrasse à un autre. Un vrai casse jambes pour des personnes non habituées. Rien de vraiment plat. Grand respect pour cette dame et son mari que je n’ai pas vu.
Savoir se contenter de ce que l’on a. Une vraie sagesse dans un monde non pas de consommation, mais de surconsommation effrénée. Ce fameux et terrible toujours plus pour combler des frustrations jamais totalement assouvies. Une belle leçon de modestie et de vie assumée.
Est-ce donc ça le secret de sa longévité.

La deuxième personne.
Je passais tranquillement dans un petit hameau lorsque j’aperçois dans un immense jardin, un homme en train de préparer la terre de son jardin. J’avais besoin d’eau. Je l’appelle. Il ne lève même pas la tête. Je recommence. J’insiste. Il ne bouge pas. J’allais partir. Il m’aperçoit enfin et vient à ma rencontre.
– Excusez-moi. Je suis dur d’oreille. Vous savez, j’ai 94 ans.
– 94 ans ! Incroyable. Ce n’est pas vrai !
Certes il était âgé. Mais à 94 ans, entreprendre de tels travaux de jardinage de cette ampleur me paraissait insurmontable pour son âge. Je n’avais jamais vu quelqu’un comme lui. C’était un phénomène hors normes.
– Vous savez j’ai travaillé longtemps dans les mines de charbon à la Grande Combe, jusqu’à ce qu’elles ferment. Ensuite j’ai été maçon pendant des années. J’ai construit de mes propres mains 7 maisons.
Il en était fier de ses maisons. Il m’en montra une. Effectivement, c’est du massif comme lui. Il m’expliqua en plus les particularités de cette maison. Je n’en revenais pas. Sa mémoire était surprenante de détails. Intacte. De le voir ainsi, toujours en activité et d’une telle vigueur mentale, me laissait pantois et envieux.
– Aujourd’hui je ne m’occupe que de mon jardin. Cette activité me maintient en forme. Je travaille juste le matin. De temps en temps quand il fait bon ; l’après-midi, je bricole par ci par là pour mes enfants et petits enfants.
– Quel est donc votre secret de longévité ? Vous n’êtes jamais fatigué ?
– Je mange bien et dors à la carte. Quand j’en ressens la nécessité. Je n’insiste jamais. Je suis toujours en activité. J’aime travailler. Rendre des services. Je me sens utile. Je me débrouille bien. Chaque jour je remercie le bon dieu de ne pas me laisser tomber.
Je le détaillais de la tête aux pieds. C’était une masse brute faite d’un bois monolithique, le dos vouté mais charpenté, les jambes affaissées mais solides, les bras noueux mais flexibles, la tête enfoncée mais mobile et les mains écrasées, déformées mais puissantes et agiles. Des mains deux fois les miennes.
– Tenez, prenez votre eau. C’est de l’eau de source. Vous n’avez rien à craindre. J’en bois depuis plus de soixante-dix ans.
C’était donc ça le secret de sa longévité. L’eau de sa source.
Je pense surtout que dans son génome un facteur « x » s’y est inséré à son insu pour le rendre invulnérable face au temps. À cet âge, il devait bien avoir des douleurs musculaires et articulaires, mais il ne laissait rien transparaître. Rien de flagrant. C’est une preuve d’acceptation de ce qu’il est. Et il est solide comme un roc, tant dans son corps que dans sa tête.

Ces deux êtres singuliers et exceptionnels m’ont fait cogiter. Ça tombe bien. Ç’est ma gymnastique quotidienne. Notre société manque cruellement de lucidité et de sens pratique face à la réalité terrestre. On se prend la tête pour des contingences matérielles futiles voire inutiles. Aller à l’essentiel semble difficile à obtenir pour le commun des mortels. C’est bien dommage. Nous sommes des êtres trop compliqués et complexes à la recherche d’un ailleurs mirobolant. Un mirage entretenu par d’incorrigibles obsessions.

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