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Une reprise laborieuse.

Le 13 Avril 2019 Castanet-le-haut.

Nous repartons comme en l’an quarante. Bien décidés à rattraper le temps perdu.

Nous sommes obligés très rapidement de faire demi-tour et de trouver un autre itinéraire. Le pont était infranchissable pour Cabotte. Première déconvenue. Le sentier était étroit à certains endroits. Ça passait juste et les sacoches frottaient dangereusement. Je redouble de précaution. Ce n’est pas le moment de les déchirer.


Deux heures de tranquillité relative. Arrive le gros souci pour Cabotte et moi. En bas d’une bonne descente un autre pont métallique ridicule et sans protection sur les côtés. Le ruisseau que l’on doit franchir me semble impossible à traverser pour Cabotte. Je la regarde, elle est déjà paniquée rien qu’à l’idée de devoir s’engager dans cette eau tourbillonnante et sauvage. Je décide de prendre mon temps et de réfléchir. Je vais certainement trouver une solution.


Je vais explorer le ruisseau en amont à la recherche d’un endroit plus sécurisé. Rien ! Une muraille de l’autre côté de la rive. En aval, je trouve une espèce de gué beaucoup trop large, profond et plein de cailloux instables. Je suis dépité. Faire demi-tour c’est au moins trois heures de marche à prévoir en espérant rejoindre un autre chemin viable pour rallier le village où je devais aller.
Nos regards se croisent. Cabotte me dit la tête basse et les oreilles flapies à l’excès pour plus de crédibilité. Elle ne fait ni la rebelle, ni l’entêtée. Elle évolue et met en place sa stratégie pour que je renonce à traverser. Elle est maligne et je ne tomberai dans le panneau.
– Je veux que l’on fasse demi-tour. J’ai trop peur.
– Impossible. Je dois trouver une solution.
– Je ne sais ni voler ni nager. Je préfère rester sur place et mourir. Mes sabots s’enfoncent trop et j’ai peur de l’eau ! Tu le sais et tu insistes. C’est de la maltraitance asine.
– Ne cherche pas à me culpabiliser. Ça ne marche pas avec moi. Je vais trouver une solution.
– Laquelle ?
– J’ai toujours trouvé une solution.
– Laquelle ?
– Tais-toi. Je t’en supplie, tais-toi. Laisse-moi réfléchir.
– Réfléchir ! En voilà une solution. Réfléchir. Et bien réfléchis dans ton coin. Moi je fais demi-tour. J’en ai marre de tout ce bordel, de ce voyage qui n’en finit pas de continuer. Des solutions ! Moi j’en ai une. Je fais demi-tour.
Et la voilà qui se retourne et s’échappe en courant, en remontant allègrement et sûrement le sentier. Je la course (en montée je m’explose les poumons) et réussis à lui saisir la longe qui traînait par terre. Je garde mon calme et la ramène. Moi aussi je vais changer de stratégie. Je l’accroche court à un arbre. Je ne discute plus. Je suis trop préoccupé par le problème du jour.
Je m’assoie pour plus de sérénité et regarde le ruisseau se moquer de moi. Je le hais ce pu… de ruisseau de mer… Il n’aurait pas pu couler ailleurs ! Enfin une idée. Je me lève et exécute mon plan. Je ne sais pas si ça va marcher, mais je vais essayer. Si je ne réussis pas je vais passer pour un charlot aux yeux de Cabotte ? Et effectivement on fera demi-tour. Je perdrais ainsi toute autorité sur elle. Ce qui n’est pas souhaitable pour le reste de notre aventure. C’est qui le patron ? C’est elle ou moi ?
Sur la berge je prends un tronc de bois mort que je mets à l’eau en le faisant rouler. Je le cale en travers du ruisseau à l’aide de deux gros cailloux naturellement fixés pour former ainsi un petit barrage qui servira de repère pour Cabotte. Un peu comme une rampe mais au ras de l’eau. L’eau à ce niveau se calme enfin. Ensuite je déplace de grosses pierres pour former un dallage presque uniforme. Les pierres sont très glissantes. J’espère ainsi mettre en confiance Cabotte. Il y a deux fois moins de remous qu’avant. C’était le but recherché.
Cabotte regardait très intriguée ce brassage de pierres. Certaines étaient très lourdes et difficiles à déplacer. Plus d’une heure de travail. J’avais les pieds trempés, j’étais fatigué et le moral à zéro.
Content de mon travail et confiant pour la suite je me dirige vers Cabotte et dépose tout le chargement pour le transporter de l’autre côté du ruisseau. Je laisse le bât sur son dos. Je titille la longe et emmène Cabotte au ras du ruisseau. Elle ne regimbe pas. Je suis surpris. Elle regarde mon ouvrage un long moment. Je reste silencieux. J’attends un moment d’inattention de Cabotte pour agir sur la longe et la déséquilibrer dans l’eau. Je tire de toute mes forces et la voilà les antérieurs dans le ruisseau. Une première étape réussie. Ensuite elle traverse comme si elle avait fait ça toute sa vie. Tant de peine pour un résultat si aisé. C’est de la provocation. J’en suis sidéré et satisfait en même temps. Elle commence à comprendre.
Et elle de me dire en ricanant de toutes ses lèvres retroussées jusqu’aux naseaux voire plus haut.
– Tu vois qu’avec un peu de pédagogie et de patience un âne peut franchir n’importe quel obstacle !
Que répondre à un tel affront : rien. Mais je m’en souviendrai. Crois-moi Cabotte. Si ta mémoire n’a pas de faille la mienne est excellente en pareil cas. Je lui donne des gourmandises pour la gratifier de son courage.

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