Une poursuite effrénée.
Le 30 Août 2019 Diou.
Ce matin je suis parti en grande forme, en état de grâce, heureux de mon sort, d’être en compagnie de ma belle Cabotte. De plus ce soir mon ami Petit Louis devait me rejoindre. J’avais hâte de le voir. Nous arrivons sans encombre à Diou en fin de matinée. Je me suis ravitaillé dans une boutique alimentaire de proximité. Une chance, c’était encore ouvert. Ensuite je me suis installé à une table en bois à l’ombre sous les arbres. J’ai improvisé un pique-nique assez copieux et équilibré en comparaison avec ce que je pouvais parfois manger. J’étais confortablement assis. Un luxe. Un couple à la table voisine nous regardait avec un certain détachement mal contenu, une envie d’en savoir plus. C’était flagrant. Ils étaient intrigués. Je laisse faire. Ils se lèvent enfin puis me demandent.
-Elle mange des pommes votre ânesse ?
-Elle adore.
C’était parti, la discussion se met en route. Ils me posent mille questions. Je réponds, j’ai l’habitude. J’ai déjà des tas de réponses toutes construites en stock. Vient se joindre à nous une dame. Elle écoutait elle aussi. Après un long moment elle intervint.
– Je peux vous héberger. Nous avons un gite à quelques kilomètres d’ici.
– Je suis le GR 3 et ne souhaite pas trop m’en écarter. Aujourd’hui je reste sur Diou, j’ai rendez-vous avec un ami.
– Demain alors. Nous serions avec mon mari heureux de vous recevoir. C’est une proposition, vous allez juste faire un petit crochet en venant chez nous.
– Je ne vous dis pas non. Je vais étudier mon itinéraire. Donnez-moi votre numéro de téléphone. Je vous appellerai demain matin. Merci.
J’étais pris de court.
La mairie m’autorise à rester aux abords de l’ancien stade de foot. Il y a beaucoup d’espace et surtout de l’ombre. Je laisse libre ma Cabotte. Je m’en vais chercher de l’eau potable au camping se trouvant à cinq cents mètres du stade. Elle me suit. Je la laisse faire. Je garde un œil sur elle. Le temps que je remplisse le jerrican et mes deux bouteilles, plus de Cabotte ! Envolée. Hors de mes yeux. Enfin je la vois, elle marchait droit devant elle, altière et déterminée sachant visiblement où aller. Elle doit avoir un rencart important quelque part. Je n’étais pas au courant. Elle ne me dit pas tout la garce, garde en elle l’essentiel. Elle a le droit d’avoir une vie personnelle et intime. Je l’appelle. Elle s’arrête, tourne la tête vers moi, puis se remet à marcher. Je lui ordonne de s’arrêter, elle ralentit, retourne la tête vers moi ; elle me nargue, je le sens, puis repart de plus belle au trot cette fois-ci. L’affaire se complique. Je lui cours après en gueulant, elle décolle, s’envole au galop. Je ne peux pas la rattraper. Je ralentis, elle ralentit aussitôt, tourne à l’angle d’une rue. Je décide d’y aller en douceur en m’approchant au plus prêt, elle ne me voit plus. Elle s’était arrêtée. J’étais presque à son niveau à deux doigts de l’attraper. Elle s’est remise à courir comme une dingue. J’ai renouvelé l’opération plusieurs fois. Je commençais à m’énerver. Je la maudissais. Elle débouche sur la rue principale menant à la mairie. Ça devenait dangereux. Je demande de l’aide en hurlant comme un désespéré. Les gens stupéfiés ne réagissaient pas. Une drôle de scène dans les rues de Diou, pensaient-ils. Un pauvre type poursuivant son âne, ce n’est pas très courant je crois. C’est même comique. Un beau tableau à inscrire dans les annales de la commune. Un homme venant du trottoir opposé comprit la situation. Il se mit en plein dans la trajectoire de Cabotte en écartant les bras. Celle-ci s’arrêta aussitôt. Il la saisit par le licol. J’arrivai enfin légèrement essoufflé mais surtout soulagé. Nous avions évité en quelque sorte le drame. Je remerciai mon sauveur. Il se marrait, tout comme Cabotte d’ailleurs. Celle-ci me mit hors de moi.
– Ça te fait rire Cabotte ?
– Je ne vais tout de même pas pleurer.
– Je ne te demande pas de pleurer. Je veux simplement que tu réalises ce que tu viens de me faire endurer pendant une demi-heure à te poursuivre dans les rues de Diou. Tu aurais pu te faire percuter par une voiture.
– Encore une fois vous ne me faites pas confiance. Des voitures nous en avons croisé des centaines, il ne nous est jamais rien arrivés.
– Ce n’est pas une raison. Il suffit d’une fois. Tu es complètement inconsciente. J’en ai marre de tes lubies. Je ne te connais pas. Tu me fais honte.
J’accroche la corde au licol. Tire un coup sec pour lui ordonner de se mettre en marche. Elle bloque. J’insiste plusieurs fois de plus en plus fort, à lui arracher la tête. Elle s’enracine de plus en plus. Je m’énerve encore plus. Elle me défie narquoise bien décidée à m’affronter.
– Je voulais simplement m’amuser. Rien de grave. M’amuser. Ce n’est tout de même pas compliquer à comprendre.
– Tu te fous de moi Cabotte.
– Humour Ô mon bon maître. Humour. Allez, décontractez-vous. C’est fini maintenant. J’exige le respect. Je ne repartirai qu’après que vous m’ayez fait des excuses.
– C’est le monde à l’envers. Des excuses ! Je crois rêver ! C’est incroyable ma Cabotte. Les rôles sont inversés. Qui est le maître de qui ? Braillai-je.
– On y arrive. Je suis votre esclave. C’est bien cela. Permettez-moi de douter de votre sincérité. Vous n’êtes qu’un baratineur exigeant de première classe. Du vent. Vous ne valez pas plus que les autres. Je suis déçue. Vraiment.
– Excuse-moi ma douce Cabotte je me suis emporté. J’ai eu peur de l’accident. Voilà tout. Saches pour ta gouverne, je t’ai toujours respectée.
– Bon. Maintenant nous allons cesser de nous chamailler. Qu’est-ce que l’on attend pour repartir ?
– J’espère que c’est de l’humour ma douce Cabotte.
– Comme vous voulez Ô mon bon Maître. Je vous laisse apprécier. Nous avons perdu assez de temps. Je crois.
– Je ne te le fais pas dire.
Nous retournons enfin réconciliés vers le stade. Je m’en veux un peu. L’affaire est classée sans suite, nous en avons chacun retiré un peu plus de reconnaissance mutuelle. On ne peut deviner ce qui se passe dans la tête des autres. Il faut en accepter les sautes d’humeur et les égarements. Je reçois sur mon portable un appel de Petit Louis. Il m’annonce que son client (Petit Louis conçoit et restaure des vitraux d’art) l’a retardé. Il sera à Diou en fin de journée. J’ai donc tout mon temps.
J’en profite pour revoir mon itinéraire pour demain. Effectivement ce crochet ne changera pas fondamentalement mon trajet. Rares étaient les fois où je savais où je dormirais le lendemain. Je n’aurai pas à chercher.
Lorsque Petit Louis est arrivé nous étions déjà en fin d’après midi. J’étais content de le voir. Je suis toujours content de le revoir. Il me dit.
– J’ai mis un temps fou pour venir ici. Je n’ai fait que tourner et virer dans tous les sens. Ce n’est pas plat par ici. Je ne pense pas avoir pris la route la plus directe, j’ai suivi tout bêtement les directions incertaines et bizarres du G P S. J’ai très mal évalué la distance et le temps qu’il me fallait pour venir te rejoindre. Je pense qu’il y avait plus court et rapide.
– Ce n’est pas grave, l’important c’est que tu sois là.
Il était déjà bien tard pour que nous puissions envisager une quelconque balade dans le village. Nous décidons d’aller manger un morceau quelque part. Nous n’avions pas d’exigences particulières. Trouver un restaurant sur Diou fut vain. Nous avons pris le camping-car pour aller dans une commune voisine plus importante. Nous avons trouvé un restaurent populaire aux spécialités exotiques d’un pays pas très bien identifié. J’ai pris un plat simple, copieux et bien épicé. Ça changeait de mon ordinaire. Je ne pouvais pas tomber mieux. L’important était d’être avec Petit Louis. C’était sympa. Ça me faisait plaisir de parler avec quelqu’un que je connaissais. Aujourd’hui c’était une évidence qui me sautait aux yeux. L’errance, telle que je la ressentais, la vivait, n’avait pas d’emprise de territoire ; elle ne créait que du présent en un mouvement chaotique et indécis plus ou moins long. Tu traverses la vie des autres. Dans ce cas, les attaches y sont impossibles. Ce serait alors une entrave à toute progression pouvant remettre en cause le projet dans son ensemble. Alors quand quelqu’un vient te voir comme Petit Louis, tu savoures. Il te rappelle une partie de ta vie antérieure. Un encart suspendu dans le quotidien des jours qui vont à vau-l’eau.
Ce jour-là Petit Louis avait un souci dentaire qui le tarabustait de temps en temps. Il avait l’impression que son mal gagnait l’ensemble de la mâchoire ! C’est grave ! Le cerveau se fait des nœuds inversés… Un trouble interprétatif ! Je voyais bien que cela le gênait. Je compatis sans pouvoir le soulager. Demain c’est dimanche. Il devra attendre jusqu’à lundi pour se faire soigner. Il semblait fatigué de sa journée. Il faisait nuit depuis un bon moment. Nous sommes rentrés rejoindre ma Cabotte. Avant de me coucher, je suis allé la voir. Elle m’attendait immobile.
– Ô mon bon maître. Je suis heureuse de vous revoir. Vous me pardonnez mon escapade ?
– C’est déjà oublié. Bonne nuit ma douce Cabotte.
– Merci Ô mon bon maître.