Navigation Menu+

Une hallucination bienveillante.

Le 03 Août 2019 Auberive.



Nous sommes arrivés en début d’après-midi à Auberive. Nous nous arrêtons près d’une boulangerie-épicerie-tabac tenue par un jeune couple dynamique et sympathique. Leur établissement était un lieu de rencontre pour les gens du village. Il y avait beaucoup de monde. J’y ai cassé une croûte. Ensuite le boulanger m’a orienté vers « Air de Camping – Chemin de Traverse ». Un lieu surprenant et insolite dans une combe aux abords de la forêt d’Auberive où l’on trouve des tentes nomades sur plancher, une roulotte, des toilettes sèches, etc. Et un parc pour les ânes. Une recherche d’authenticité dans un écrin de verdure. Nous sommes dans un éco domaine près de la maison forestière des charbonnières.
Le camping était fermé. Il n’ouvrait qu’en fin d’après midi. Je décide d’aller à la recherche d’un peu d’ombre dans la forêt. Nous remontons une route jusqu’à ce que je découvre une clairière, lieu opportun pour nous reposer en attendant l’ouverture du camping.

Nous avions trois heures d’attente. Heureusement Cabotte avait de quoi se mettre sous la dent. Il y avait de l’herbe et des feuilles d’arbustes dans le sous-bois. Je la laissais libre. Elle ne pouvait aller bien loin. Je gardais un œil sur elle. Je la savais imprévisible, capable de me fausser compagnie en un rien de temps comme si de rien n’était. En un coup de vent. Vite fait bien fait.
Je déplie mon siège portable, sors mon ordinateur bien décidé à me mettre à écrire. J’ai du retard et ne peux suivre le rythme d’un texte par jour. Impossible. Même si en amont, dans ma tête, je connais la teneur de ce que je vais écrire. Mes idées sont claires. J’y réfléchis beaucoup avant de commencer. Même si apparemment je ne fais rien, je cogite. Il suffit de m’y mettre, au travail ! Entre le désir d’écrire et sa mise en œuvre : toute une histoire. En ce qui me concerne, c’est dur de poser mon premier mot, ma première pierre, d’obtenir une première impression, satisfaction. Je dois me convaincre de ce que j’écris, de sa sincérité, de sa crédibilité et même de son utilité. Ce dernier point est rédhibitoire si je ne le franchis pas. À quoi bon écrire si cela n’a de sens ni d’intérêt pour moi. Surtout qu’ici rien ne m’y oblige. Je l’ai promis certes mais je peux arrêter tout aussi bien. Je n’en serai pas très fier, mais ça reste une possibilité.
Aujourd’hui rien ne fonctionne. Je regarde l’écran sans inspiration. Mon carnet de notes m’indiffère totalement. Je le trouve encombrant, insignifiant, aberrant et d’aucun secours pour me sortir de cette étrange léthargie. L’obstacle est trop haut à franchir. J’en ai plus la force.
– Ô mon bon Maître vous me faites peur, ça fait bien une heure que vous êtes ainsi à patauger inutilement. Où est donc passé votre énergie ? Il me semble que vous étiez pourtant en grande forme ce matin.
– C’est toi ma douce Cabotte ?
– Oui, c’est moi. Cabotte votre compagne de voyage. Celle qui veille sur vous sans que vous ne le sachiez. Je n’aime pas vous voir ainsi. Le regard vide à regarder sans voir. Les mains nulle part à errer sur votre clavier devenu muet.
– Ce n’est rien. C’est juste l’ombre d’un nuage au-dessus de ma tête. Il ne fait que passer, mais s’installe sans mon consentement. S’impose comme un intrus. Je me sens loin de toute envie. Mon inspiration est en berne. Je dois me ressaisir.
– Pourquoi vous acharner si le cœur n’y est pas ? Laissez-vous aller. Faites autre chose de plus gratifiant. Encourageant.
– Gratifiant ! Encourageant !
– Ce ne sont pas les bons mots. Je ne sais pas moi. Quand ça ne vient pas, c’est que les mots ne veulent pas venir. Se poser. Il est préférable de passer à autre chose. Ce n’est tout de même pas sorcier. Si les mots ne viennent pas ; ce n’est pas la bonne heure, le bon moment le lieu le plus adéquat. Ils ne sont pas prêts à se vautrer impudiquement sur votre page.
– Tu as raison ma douce Cabotte. Je referme mon ordinateur sans regrets. C’est bien mieux ainsi. Plus raisonnable. Pont final, si j’ose dire.
Je relève la tête pour adresser des remerciements à ma fidèle Cabotte. Surprise ! Point de Cabotte. Où est-elle passée ? Je la cherche. Je la vois enfin. Elle effeuillait goulûment et méticuleusement un noisetier de la tête aux pieds. Une de ses gourmandises préférées. Je constate que je m’étais égaré dans le labyrinthe de mes pensées vagabondes.
Je me dirige vers elle. Elle dresse ses oreilles, m’identifie mais ne bouge pas. Elle continue son œuvre en espérant que je ne vienne pas la chercher trop tôt.
-Ô mon bon Maître laissez-moi encore un peu de temps. Je me régale. J’en ai plein la bouche jusqu’aux naseaux.
– Je vois bien. Prends ton temps. Ensuite direction le camping. Il est bientôt dix-sept heures. Il va ouvrir ses portes.
– Merci Ô mon bon Maître.
– Merci à toi aussi ma belle Cabotte.
– Merci de quoi ?
– De ta présence bienveillante.
– Cette feuille-là est succulente Ô mon bon Maître.
– Je te laisse encore dix minutes. Dix bonnes minutes. Tu m’entends. Pas une de plus.
Pas de réponse. Trop occupée à se goinfrer. Le temps lui est compté.

Rédiger un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *