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Une funambule aux pieds habiles.

Le 26 Juin 2019 Métabief.

Le début fut facile ; un beau sentier bien entretenu puis plus haut des champs avec des herbages bien gras. Le pied pour des Montbéliardes les filles bovines du pays donnant du lait pour la fabrication du comté.

Nous avons rencontré une bergère de génisses. Cette femme d’une quarantaine d’années environ était une grande lectrice. Elle connaissait pas mal d’auteurs. Elle savait en parler avec enthousiasme. Son travail saisonnier lui permettait de lire à volonté. Elle m’a invité à boire un café et manger quelques gâteaux secs. Il y avait avec elle deux amies de passage. Tout cela est de bon augure.

Nous continuons le sentier en forêt pour ensuite aborder des champs clôturés avec des passages aménagés pour les randonneurs.

Je passe plus ou moins bien jusqu’à une impossibilité de passage pour Cabotte. Nous sommes trop engagés sur notre itinéraire pour revenir en arrière. Je prends mes pinces, défais quelques fils barbelés, fais passer Cabotte et remets les fils. Les fils barbelés sont très rigides et très « épineux » si je puis dire. Je m’écorche les mains. Je passe un temps fou à tout remettre en état. C’est épuisant, mais Cabotte passe enfin. C’est le principal.
Arrive le moment le plus inquiétant. Aucune solution. L’éleveur a tout fermé, même pour les randonneurs. Le sentier est bel et bien infranchissable pour tout le monde. Les vaches viennent voir Cabotte avec curiosité et nervosité. Un bon et beau troupeau nous encercle lentement. Tout le monde s’agite sans raison. Cabotte et moi nous sentons de plus en plus à l’étroit. Je vais devoir faire preuve de concentration et de maîtrise dans ma gestuelle, tant avec Cabotte qu’avec le troupeau de vaches. C’est très délicat. Je réussis à les éloigner en allant vers elles, en poussant des cris persuasifs et en brassant de l’air avec mes bras. Elles freinent leur ardeur mais irrésistiblement reviennent nous vers nous, motivées. Ce n’est pas de la curiosité, c’est du harcèlement. Je recommence la manœuvre plusieurs fois.
– Cabotte, surtout reste tranquille. Zen. Colle-toi près de moi, nous allons sortir de là, longer la clôture et trouver une solution. Le bétail est bien entré par un endroit. Je vais le chercher et le trouver.
– J’espère qu’il n’y a pas de taureau ? dit-elle inquiète.
– C’est rare dans un troupeau. Les taureaux ne servent plus qu’à la reproduction. Ils ne traînent pas leurs guêtres dans les champs. Maintenant avec les inséminations artificielles ils se font rares. On n’en trouve plus dans les troupeaux. Trop dangereux, imprévisibles et lunatiques. Un coup de corne de bas en haut et vous voilà éventré sans pouvoir émettre un seul cri de frayeur.
– C’est mieux ainsi. J’ai déjà plus confiance.
Je vois enfin un passage et sors de ce traquenard. Cette histoire nous coûte une bonne heure. Nous prenons une route bitumée et effectuons un immense contournement pour retrouver deux heures après le sentier. Là aussi il y a des barrières mais elles sont aménagées pour le bétail. Je peste contre tout le monde : les éleveurs qui mettent des barrières infranchissables, les randonneurs qui ne les referment pas, les VTT et les motos qui effrayent le bétail. Tout le monde s’en fout et plus personne ne passe. Chacun accuse l’autre, alors que lui-même n’est pas un exemple de compréhension de l’autre. Il y a de la place pour tout le monde sur cette terre. Enfin je crois.
Le plus dur va venir. Le sentier sur lequel nous sommes se perd bizarrement dans un espace dénudé et retourné. Il y a eu des terrassements effectués sur les hauts des pistes de ski. Impossible de trouver la suite du sentier. Le village est tout en bas. On le toucherait presque. Comment le rallier ? Par où ? Revenir en arrière nous ferait marcher deux ou trois heures de plus. Je repère une piste de descente de VTT. Nous pourrions l’emprunter. Je dois demander à Cabotte si elle se sent capable de descendre.
– Cabotte, il y a une solution. C’est la piste aménagée pour la compétition de descente VTT.
– C’est raide ô mon bon Maître. Très raide. N’y-a-t-il pas d’autre solution ? Je suis prête à marcher plus longtemps si nécessaire.
– Hélas ma Cabotte, je crains qu’il nous faille marcher plusieurs heures avant d’arriver. Il est déjà tard. Il fait très chaud. Nous sommes fatigués. Cette journée a été laborieuse, pleines de tracas. Huit heures que l’on marche.
Cabotte regarde longuement la descente. Elle semble réfléchir aux risques qu’elle encourt, puis s’adresse à moi.
– S’il n’y a pas d’autres endroits pour la descente, je veux bien y aller. J’ai déjà emprunté des pentes aussi raides. Il me semble ? Non. Seule condition : tu me laisses faire. Surtout je ne veux pas que tu me bouscules. Je dois prendre mon temps, me concentrer, assurer mes pas.
Je l’engage sur la descente après avoir réglé l’avaloir et la bricole. Je lui enlève la longe. La voilà en route. Les pas sont lents et pesés. Je tremble pour elle. J’ai vraiment peur de la retrouver dix mètres plus bas dans un triste état. Blessée. Ce serait une catastrophe. Je ne pourrais que m’en vouloir. À vouloir gagner du temps, à prendre des risques je mets en péril notre histoire. Je culpabiliserais si notre périple virait au tragique.
Le ballant du chargement est tel que le bât risque de tourner et entraîner Cabotte dans une chute dangereuse. Je me surprends à prier (moi le mécréant) le bon Dieu. S’il peut l’aider qu’il le fasse. Et vite ! Qu’il prenne ses responsabilités. Je retiens mon souffle par endroits. J’ai la bouche sèche. J’ai mal pour Cabotte. L’effort est intense et long. Ses muscles tendus sont saillants. Elle glisse parfois. Se reprend avec adresse. Continue pas à pas. Ça devient très acrobatique. Elle descend lentement mais sûrement. J’ai hâte de nous retrouver en bas des pistes.
Après une demi-heure de descente laborieuse la voilà hors de danger. Elle a réussi avec maestria. Une fois de plus je suis fier d’elle. Super Cabotte a assuré. Ce n’est pas la première fois. Je prends sa tête dans mes bras et la câline longuement. Elle ne dit rien. Se laisse faire. Elle aussi savoure son exploit. J’en suis sûr. Elle est consciente de sa prouesse. Je la félicite. Lui donne des gourmandises (des bonbons spécifiques à la pomme, elle adore) que je garde en réserve dans ma poche lorsqu’elle réalise de belles choses. Je suis heureux avec ma Cabotte. Le duo que nous formons est complémentaire et complice. La preuve tout s’est bien passé… Heureusement.


Le seul paysan de la station m’autorise à aller sur son champ au pied des pistes. Il y a de l’herbe. Je monte la tente, grignote quelques bricoles puis me couche sans rien demander à personne. J’ai besoin de récupérer. Il fait jour. Je me suis réveillé en pleine forme à trois heures de la nuit sous le regard fuyant de la lune. Je suis allé voir Cabotte. Elle broutait comme une mange sans faim. Elle mange comme si elle n’en avait jamais assez. Mieux vaut l’avoir dans les prés des autres que chez soi. Elle n’est jamais rassasiée. Sacrée Cabotte tu n’es qu’un ventre et un cœur à l’ouvrage. Je t’aime bien ainsi. Reste comme tu es. Nous ne sommes pas encore arrivés à Banos.

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