Une bonne ventrée de prunes pour Cabotte.
Le 13 Août 2019 Meloisey.
Une journée de marche encore tranquille. Je commençais à y prendre goût, avec pourtant en filigrane une pointe d’ennui. C’est bien de l’ennui dont il s’agissait. C’est comme cela que je qualifierais ce ressentiment étrange. C’était trop, comment dirai-je, paisible depuis quelques jours. En arrière-plan, j’étais en train de regretter les moments difficiles demandant de l’abnégation, une certaine forme de courage ou de masochisme délirant. L’obsession étant d’avancer coûte que coûte pour le meilleur et pour le pire. Cela ne durait que le temps d’un mauvais passage. Une fois la galère terminée, une éclaircie ; le beau temps. Je me suis toujours repris, parfois même surpris de voir ce que j’étais capable de surmonter. C’était toujours valorisant et d’une grande mansuétude envers moi-même, surtout lorsque ça se terminait au mieux.
L’ennui quant à lui est pernicieux, s’insère lentement dans l’esprit jusqu’à annihiler toute envie de quoi que ce soit. C’était un début de routine en ce qui me concerne. C’était ainsi. Je savais aussi que cela ne durerait que le temps de m’en apercevoir. Chez-moi, il me suffit de me dire que j’ai de la chance d’être là pour le chasser de mon esprit d’un revers d’optimisme. Je me suis rarement ennuyé dans la vie. Il y a tant de choses à faire. Je n’ai jamais sombré dans la mélancolie. Etat durable et dépressif qui ne mène nulle part. Je ne suis pas non plus un optimiste chronique ou un positiviste malvoyant occultant la réalité des choses. Je reste lucide et critique du monde qui m’entoure.
Nous arrivons au village de Meloisey en début d’après-midi.
Un gamin est sorti de chez lui. Il commence à discuter avec moi. Je lui dis que nous allons certainement rester dans le coin. Nous repartons tranquillement.
À peine avions nous effectué une centaine de mètres que je vois le gamin nous courir après.
– Attendez, attendez, vous pouvez rester chez-nous. Nous avons un jardin. Venez voir.
Nous faisons demi-tour. Quelques minutes après nous voilà chez Vanessa, David et leur fils Lucas. Le jardin n’était pas bien grand, juste un bout de pelouse sans tentation florale pour Cabotte. C’était largement suffisant pour une nuit.
Vanessa est venue me voir. Elle m’a proposé de me faire des courses. J’ai accepté. C’est sympa de sa part. J’ai de la chance. Elle m’a apporté beaucoup de fruits : bananes, oranges, pommes (pour Cabotte aussi), poires, raisins, etc. J’en ai fait une cure. D’ailleurs je n’ai mangé que cela. Les fruits me manquent. Alors dès que je peux en manger ; je n’hésite pas. J’anticipe les futures disettes.
David est passionné de Kart cross, un sport mécanique assez acrobatique demandant un véhicule bien préparé et une bonne santé. C’est très physique. Il me montre son engin avec fierté, une belle bête de 600 cm3 au repos. Il est mécano de métier. C’est lui qui effectue les mises au point du moteur et du châssis. Les entrailles de sa machine n’ont pas de secret pour lui. Cela fait aussi partie des sports mécaniques. C’est un challenge passionnant. La conduite de ces véhicules ne fait que parachever un travail méticuleux de préparation du véhicule. Un plaisir pour David. La cerise sur le gâteau. C’est tout un ensemble pour lui.
– De plus, me dit-il, si je n’étais pas mécano je ne pourrais pas assouvir cette passion. Ce sport-loisir coûte horriblement cher. Comme tous les sports mécaniques. D’ailleurs, en fin d’après-midi toute la famille est partie rejoindre des amis sur un circuit pour réaliser des essais. Ils m’ont prévenu qu’ils rentreraient tard.
Je suis donc resté seul avec ma Cabotte dans le jardin. Après une brève exploration du jardin elle repéra rapidement un magnifique prunier chargé de fruits bien mûrs. Les branches en ployaient d’abondance. De belles prunes violettes ? Il y en avait un tapis épais au sol. Ce qui n’échappa pas au regard de Cabotte.
– Alors ma douce Cabotte, elles sont bonnes les prunes ?
– C’est la première fois que j’en mange. Elles sont excellentes. Surtout le jus. Seul souci ce sont les noyaux. Je les avale. Je ne sais pas faire autrement.
– Je ne voudrais pas que tu sois malade. Fais attention, je ne sais pas si ton estomac est adapté à ce genre de gourmandise.
– Ô mon bon Maître, n’ayez pas peur, je choisis les moins pourries, les plus mûres, les entières, les plus belles, celles qui ont du goût. Elles ne peuvent me faire du mal. J’ai l’habitude avec les pommes, les poires, les raisins, même les oranges. Je mange tout. Mêmes les pépins. Je n’ai jamais été malade, ni même indisposée. Je broie et malaxe tout dans mon estomac.
– Ce n’est pas une raison pour te goinfrer comme une morte de faim. Il faut être modéré.
– Modéré!
– Raisonnable. Les excès ne profitent jamais à ceux qui les pratiquent régulièrement.
– Ce n’est pas mon cas. C’est rare. Pour l’instant je me régale. Quant à vous Ô mon bon Maître, à ce jour vous n’êtes pas en reste, je vous ai vu vous empiffrer de fruits.
– Ce n’est pas la même chose.
– Oh si Ô mon bon Maître. Croyez-moi.
Et la voilà qui reluque les prunes accrochées aux branches basses. Elle en grappille à pleine bouche avec les feuilles en plus. Elle est vorace. Elle va dépouiller le pauvre prunier. Je décide de la ramener à plus de sagesse en plaçant des obstacles entre elle et le prunier. Méthode efficace mais frustrante pour Cabotte. Elle me fait la gueule.
– C’est pour ton bien et celui du prunier. Nous ne sommes pas à la maison. Il faut respecter le jardin. Ça suffit maintenant. Elle ne me répond pas.
Le lendemain je suis invité au petit-déjeuner et à prendre une douche. Ils sont rentrés très tard. Je n’ai rien entendu. Ils ont été très discrets. Je dormais.
Je suis reparti beau comme un sou neuf, rasé de près et le ventre plein. La journée s’annonce de bon augure.