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Une bonne raison de pédaler sans se retourner.

Le 20 Août 2019 Brion.

Une journée de route… et enfin nous arrivons sur les hauts de Brion. Rien de particulier ne nous est arrivé. Le soleil, jusque-là très coopératif, redevient une fois de plus très présent, omnipotent. Il fait chaud.

 

La sécheresse a fait des ravages. Les vaches sont parfois réduites à manger les feuilles des arbustes en bordure des champs et de la paille. Certains paysans ont entamé largement les réserves de foin pour l’hiver. C’est un vrai souci pour eux. S’ils n’en ont plus, les prix vont flamber et devenir prohibitifs pour quelques éleveurs. C’est une belle affaire pour les spéculateurs de tout poil. La rareté enrichit encore plus celui qui est dans l’abondance.
« C’est comme ça, tu peux crever la bouche ouverte. Vendre une partie de ton cheptel c’est bien beau mais cela nous appauvrit encore plus. Les cours de la viande s’effondrent. Ce n’est qu’une solution à court terme. Que nous restera-t-il ? Des yeux pour pleurer. La misère des uns profite à d’autres. La solidarité entre paysans c’est du vent. Chacun pour sa gueule. Ta merde tu te la bouffes » me confia un éleveur écœuré.
Je crains que cela ne soit vrai. Je ne sais que répondre. Je préfère me taire. Je compatis en silence. Est-ce suffisant pour redonner de l’espérance à un homme au fond du trou ? Je ne veux pas paraître hypocrite. Faire semblant. Comme il a su me le rappeler : chacun pour sa gueule. Qu’est-ce qu’un humain ? Etre humain… Une ineptie ? Une erreur de conception ? La générosité, lorsque tu es mal en point, dans les décors, dans la mouise jusqu’au cou, est inhumaine. Inexistante. Voilà la triste vérité.
Nous étions en bas du village lorsque Jacky en voiture s’est arrêté à notre niveau. Il nous propose d’aller chez lui. Nous nous installons dans son magnifique verger. Il m’invite le soir à manger. Jocelyne nous prépare un bon repas. J’ai une sacré vaine je suis très souvent invité ces derniers jours. C’est merveilleux. J’allais dire « humainement heureux » en opposition au terme inhumain précédemment utilisé.


J’échange beaucoup avec Jacky. Nous avons des points communs. Entre autres, il affectionne l’effort physique et le partage de ses expériences. Il a fait « son chemin » celui de Saint-Jacques de Compostelle. En entier depuis chez lui, en VTT, en parcourant en moyenne quatre-vingts km par jour. En ce qui me concerne, je mets à peu près une semaine pour parcourir presque autant de kilomètres que lui en une seule journée. Une vraie flânerie de fainéant averti que je suis… Je fuis la vitesse. De plus en plus, elle me donne le tournis. Je prends mon temps comme si je le ralentissais à la demande. Nous abordons le problème fréquent de l’hébergement en autonomie. Sous la tente.
– Tu sais, me dit-il, c’est toujours délicat de planter sa tente. Même en forêt je planque mon vélo. Je suis le plus discret possible. Je me fais petit. J’ai toujours l’appréhension d’attirer le regard de quelqu’un. De me faire surprendre par un individu mal intentionné. Ce n’est pas de la paranoïa, mais de la méfiance. Je préfère anticiper que subir un imprévu.
– En ce qui me concerne je fais très attention aux endroits où je vais m’arrêter. Je demande toujours où je peux aller, quels sont les endroits propices et tranquilles pour Cabotte et moi. Cela m’évite des désagréments, de me faire jeter comme un malpropre en m’installant comme un sauvage chez les autres. Les gens ont horreur que l’on s’étale devant leur porte sans leur permission. C’est bien normal. Même dans un champ perdu au milieu de plusieurs hectares de terre cultivée ou pas, c’est un risque. On mesure alors qu’un mètre carré est un mètre carré et qu’il appartient à quelqu’un. L’instinct de propriété est fort chez les hommes. Il faut leur laisser la possibilité de t’inviter ou pas ; sans leur exercer la moindre pression, sans qu’ils se croient obligés de le faire ? S’ils se sentent à l’aise, ils t’orienteront vers des lieux plus adaptés et sécurisés, que ce soit par défaut ou par soulagement. Il faut les respecter sans les juger. Ils ont certainement des raisons ou des peurs de réagir ainsi. Inviter un inconnu, même pour une nuit, chez soi, dans son jardin, sur un bout de terrain, de trottoir, un auvent, une grange, un garage, c’est déjà faire preuve d’une grande humanité de circonstance.
– Ceux qui ont voyagé sans filets sont toujours très accueillants. Ils savent ce que l’on peut vivre puisqu’ils l’ont vécu eux-mêmes. Ils en connaissent les galères, en retiennent les rencontres les plus surprenantes, inattendues et généreuses. Ce sont des instants éphémères et précieux de partage sans obligation de retour. Certaines personnes tu ne les reverras peut-être jamais, tu le sais, c’est ainsi, c’est la vie de celui qui ne fait que passer; mais tu n’oublieras pas ce qu’elles ont fait pour toi. Elles t’ont donné, tu te souviens longtemps de ce geste, il est inscrit en toi, tu donneras pour d’autres. C’est là l’essentiel. La leçon à retenir.
Jacky, depuis un certains nombre d’années, est très investi auprès d’une jeune fille atteinte d’une maladie chronique invalidante ; je ne sais plus laquelle. Ce n’est pas l’essentiel. Il parcourt des kilomètres, d’un endroit à l’autre, pour récolter un peu d’argent et ainsi améliorer et soulager le quotidien de cette jeune fille et de ses parents. C’est tout à son honneur. Il pédale pour la bonne cause. Ça le motive. Ça le rend heureux de pouvoir aider les autres. Un but parmi tant d’autres.

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