Un aspirateur très inspirant.
Le 15 Août 2019 Dracy-lès-Couches.
Un jour férié ! Un jeudi. En plein mois d’août.
Un week-end prolongé en perspective. Cela voulait dire une difficulté pour trouver un lieu pour la nuit. Je le pressentais.
Effectivement, nous avons tourné comme des âmes en peine. À la peine. Pas un soupçon de bruit. Rien. Les feuilles des arbres étaient immobiles. Lourdes. Sans réaction. Pas un filet d’air. Une vibration. Un effleurement de la peau. Un battement d’aile. Rien de bien vivant qui ne puisse me redonner un peu d’espoir. Plus d’une heure à errer à la recherche d’une fortuite rencontre. Fatigué, je m’arrête sur le parvis de l’église. En plein village. Un village de quelques rues à peine. Il n’y avait pas de quoi se perdre. Je m’assois sur un muret de pierres. Je suis dépité. Machinalement, je sors mon smartphone, clique sur google et tape « liste des fêtes religieuses ». 15 août fête de l’assomption. Je veux en savoir un peu plus. Je ne sais plus à quoi cela correspond chez les catholiques. Pourtant j’ai été un enfant de chœur assidu mais critique. J’étais volontaire. J’aimais bien toutes ces histoires incroyables : la multiplication des pains pour satisfaire une foule affamée en plein désert, le lavement des pieds des apôtres par Jésus la veille de son jugement, le mystérieux changement d’eau en vin (une bénédiction pour les agapes des noces de cana), l’ouverture de la mer rouge en deux falaises d’eau pour faciliter le passage des fils d’Israël poursuivis par une horde sauvage d’Egyptiens. Ces derniers furent engloutis sans état d’âme. Le vrai carnage d’une armée du pharaon en déroute. Tout cela me laissait pantois. Halluciné. Un coup de baguette divine dans l’ordre des choses. C’est bien pantois le qualificatif. Je poursuis. Assomption de Marie : ou son élévation dans la gloire céleste de l’âme et du corps. Une bien belle destinée. Un être privilégié dans les affaires de Dieu notre père universel. En voilà une autre injustice. Je me sens glisser inexorablement dans des pensées blasphématoires. Je me tais. Je me demande si ce n’est pas l’homme qui a créé Dieu à son image pour se rassurer ? Si c’est le cas ; une sacrée supercherie digne de ce que nous sommes. À qui profite l’existence de Dieu ? Dans une conception monothéiste.
Je me bouge enfin. J’attache Cabotte à un poteau, puis m’en vais déambuler dans le village en espérant trouver quelqu’un pouvant m’orienter quelque part pour la nuit. Je n’ai guère d’exigence. Comme toujours un peu me suffit. Je devrais trouver comme chaque fois.
Tout en restant vigilant aux moindres vibrations de la vie dans ce village assoupi, je prends conscience d’une chose incroyable. Le silence est bel et bien assourdissant. Tu te sens encore plus seul qu’à l’accoutumée. Ton cerveau patine dans un vide sidéral. C’est une sensation obsédante, un manque aux bruits habituels qui nous entourent, fussent-ils insignifiants, imperceptibles, pudiques et fuyants. Fermez les yeux et retenez votre souffle pour vous en convaincre. Vous en découvrirez de nouveaux. C’est incroyable nous vivons en permanence dans un tourbillon sonore plus ou moins fort. Oublié. Prenant. Présent. Sauf la nuit je suppose, lorsque nous dormons profondément.
Au détour d’une rue je crois entendre, j’entends un bruissement étrange plus ou moins régulier sortant d’une maison. Je m’arrête, dresse la tête vers l’endroit présumé. C’est bien là. Pas de doute. Enfin quelqu’un de vivant. Une âme bouge. Ce village n’est pas abandonné, pas par tout le monde. Une chance. J’étais enfin rassuré.
J’ose. Je frappe une fois à la porte. Rien. C’était trop discret pour être audible. Je tends l’oreille. Je viens de deviner. C’est le vrombissement nerveux et remuant d’un aspirateur en plein labeur. Je frappe plusieurs coups avec plus de conviction. L’aspirateur couvrait mon appel au secours. Ça y ressemblait tant j’insistais. Je commençais à devenir intrusif. Gênant. Dans un dernier sursaut je frappe comme un malade. C’est ma dernière tentative. J’y mets le paquet. L’aspirateur enfin cesse son activité débordante. Je suis enfin entendu. La porte s’ouvre d’un coup laissant apparaître une femme en robe de chambre. Une surprise.
– Que voulez-vous ?
Je lui explique en peu de mot ma présence. Je la sens énervée. Je ne la rassure pas beaucoup. Je dois passer pour un vagabond. J’ai certainement une sale gueule. Je suis très amaigri. Je dois lui faire peur. Je la comprends. Un ostrogot planté devant chez vous un 15 août à quinze heures de l’après midi n’est guère courant. L’effet est brutal et violent.
– Ici ce n’est pas possible. Allez voir le maire. Il est peut-être encore chez lui.
Elle n’est pas très curieuse, ni bavarde ; elle retourne vers son aspirateur abandonné négligemment sur le flanc. Elle a encore beaucoup de boulot. La maison est si grande. Je ne souhaite pas lui couper son élan. C’était étrange.
Je suis chez le maire. Celui-ci prend le temps de venir voir ma Cabotte. Il doit partir. Sa femme et lui sont invités chez des amis ou la famille. Peu importe. Il m’indique un endroit en dehors du village, près d’une fontaine. Il y a encore un mince filet d’eau. Les nappes phréatiques sont au plus bas. Le maire s’en inquiète. C’est pire d’année en année. Un jour l’eau ne coulera plus. C’est évident. L’eau devient une denrée rare. La Bourgogne a soif. Terriblement soif. L’herbe est brûlée. La canicule a laissé des traces. Le peu de pluie de ces derniers jours a juste soulevé la poussière.
Je me mets en route pour rejoindre mon aire de repos. En chemin nous croisons une jeune femme. Elle me propose un café. Je n’ai pas encore mangé. Je préfère d’abord m’installer ensuite pourquoi pas. Elle me confirme que j’étais dans la bonne direction. Elle est venue me voir un peu plus tard avec sa fille et sa nièce en vacances chez elle. Elles avaient apporté un gâteau et une thermos de café. C’était très agréable. Un vrai café. Un vrai délice. Une belle rencontre. Une journée qui se termine bien.
Le lendemain un petit déjeuner m’attendait chez le maire. Je débute bien la journée. Sur le seuil de la porte, juste avant de partir sa femme m’offre deux pâtés, et une bonne bouteille de rouge.
– Ne vous fiez pas à la bouteille, me dit-il. C’est un bon cru. Le vin est excellent. Ici si tu veux boire du Bourgogne à des prix abordables, il te faut savoir où aller le chercher. Les relations aident.
– J’ai bien vu. J’ai voulu m’offrir un verre de Meursault blanc, impossible à trouver.
J’étais bien naïf. Une lubie comme une autre. Pourquoi pas ? J’ai vite compris que ce n’était pas un vin de seconde zone pour des types sans goût ni connaissances œnologiques. Il paraît que pour apprécier il faut connaître ! Alors je me suis replié sur un vulgaire mais excellent côte du Rhône. Je n’y connais rien en vin. Je l’aime et l’apprécie pour ses bienfaits, j’allais dire plus thérapeutiques que gustatif. J’aime parce que j’aime. C’est assez facile à comprendre. Non ?