Si « Dieu le fit » pourquoi pas moi ?
Le 14 Mai 2019 Dieulefit.
Le sentier était assez étroit mais nous avancions malgré tout. Après une rude montée nous nous sommes retrouvés face à une pente très raide pleine de pierres instables et une haute marche bien glissante. Je réalise une reconnaissance et constate l’ampleur de la tâche. La différence avec les autres c’est que la difficulté s’étend sur cent mètres environ. Chargée, Cabotte ne pouvait pas passer. Je ne l’incite même pas à monter. À forcer le destin. Je la débâte tout en sachant les multiples allers et retours à effectuer.
Cabotte me regarde et me dit.
– Enfin vous comprenez Maître. Vous avez progressé. Vous tenez compte de ma santé. Je vous remercie par avance. J’ai des limites et vous les connaissez. Maintenant c’est à vous de porter nos bagages.
Je ne répondis pas à cette provocation ou humour mal placé. Je venais de la vexer en me taisant. J’espère qu’elle n’en tiendra pas compte lors de sa montée sans les bagages. Ce n’est pas gagné. Voudra-t-elle monter ?
Je me concentre sans pester contre le sort. Je me décontracte jusqu’à admettre une évidence. Je dois m’y atteler. Me mettre en action. Je prends mon temps mais ne relâche pas mon effort. Je suis régulier dans l’effort. Je monte en deux temps les bagages. Je m’arrête à mi-parcours sur une plateforme et y dépose mon fardeau puis redescend chercher autre chose. Cette tactique me permet dans la descente de me relâcher musculairement. De plus psychologiquement, j’ai l’impression d’être plus efficace.
À ma grande surprise Cabotte monte sans que je la sollicite. Elle glisse plusieurs fois mais reste debout. Arrivée en haut je la félicite. Elle est étonnante et vient de me le prouver.
– T’avais peur que je ne monte pas ? N’est-ce pas ?
– Tu es la plus belle et la plus forte des Cabottes.
Nous repartons. Cette affaire a duré une heure trente. Je suis épuisé. Lorsque nous arrivons à Dieulefit je suis soulagé. Plus d’obstacle.
Il ne me reste plus qu’à trouver un endroit pour la nuit. Toujours la même rengaine.
Je n’ai pas cherché longtemps. Un homme m’interpelle et m’invite à venir chez-lui. Il a deux ânes, un de plus ne posait aucun problème, et me propose sa pelouse pour la tente. Il habite une petite maison qu’il partage avec un colocataire.
Après notre installation, je vais au centre du village faire des courses et me relaxer autour d’un demi. L’ivresse me guette.
Je retourne à la maison terminer mon rangement dans la tente. Je discute avec la personne qui m’avait accueilli. C’est un homme soucieux de mettre à votre disposition le nécessaire pour que vous soyez bien. Il vivait chichement avec les moyens qu’il avait. Il était entouré d’animaux. Ceux-ci avaient une importance capitale pour lui. Ils accompagnaient sa solitude. Et elle était grande. J’en ignorais la cause.
Je retourne au village pour essayer de trouver une sangle afin de maintenir les bagages de façon plus stable. Et là, je rentre dans un magasin ou plutôt un capharnaüm incroyable. Il y avait partout des objets : des bibelots, des figurines, de la mercerie, de vieilles cartes postales, une collection de poupées en tout genre, partout des choses dont je ne connaissais pas l’existence. Quant aux sangles : il en avait mais pas celles que je recherchais. Qu’à cela ne tienne, il monte à l’étage et en ressort dix minutes après avec toute une panoplie de sangles. J’en repère une qui conviendrait pour ce que je voulais en faire. J’en achète huit mètres. Il était content de lui. Son magasin pourrait être un musée. Je suis sûr qu’il détient des trésors oubliés. Il connaissait beaucoup de choses et s’intéressait à tout. Des anecdotes il en avait plein la tête. Ici, il est très connu. Il m’a tenu bien trois quart d’heure dans sa boutique. Moi qui suis parfois bavard, je suis battu. Et largement.
J’étais, après tous ces efforts, affamé. J’avais une méga flemme pour me préparer à manger. Un restaurateur me prépare un repas de voyageur. Une sorte de fouillis de légumes (carottes, pommes de terre, betteraves rouges, oignons, poivrons, etc.) plus deux œufs au plat sur une belle et épaisse tranche de jambon poêlée et des piments grillés. L’ensemble accompagné d’une belle et craquante salade. Un délice. J’ai bu un demi pour changer du vin. Ce qui n’était pas approprié au plat. Mais j’avais soif. Après un effort, un demi est recommandé. Il paraîtrait que ça favoriserait le drainage des toxines dans les muscles. Reste à prouver.
Je rentre. Ils m’attendaient (les deux colocataires). Ils m’avaient préparé une soupe de légumes. Ayant mangé, je décline l’offre. Je le regrette presque. J’aurais dû faire honneur à leur invitation. En revanche je peux prendre une douche. Une douche est toujours réparatrice après une journée d’effort.
Un des locataires travaillant le lendemain est parti se coucher. Je restais donc avec celui qui m’avait accueilli chez lui. La maison était en réalité en deux parties autonomes.
Cet homme près de la soixantaine avait eu une vie professionnelle très intéressante et variée. Il avait été mécano. Un bon mécano préparateur de motos et de voitures de compétition. C’était aussi un bon pilote moto et avait couru en Grand Prix. Il connaissait et aimait son métier. Il voyageait pas mal dans le monde et gagnait bien sa vie. Plus tard il devint cuistot pendant plusieurs années au club Med de Dieulefit avant sa fermeture.
Un jour il rentre chez lui sa maison avait brûlée. Il avait tout perdu de ce qu’il avait de plus cher. Sa femme ne s’en est jamais remise et a contracté un cancer. Elle est décédée. Ce fut un drame.
– Vous savez quand vous n’avez plus rien de votre histoire. Mêmes pas vos papiers. Vous êtes perdu. Vous n’avez plus de goût à rien. C’est terrible. Votre vie s’est arrêtée. Maintenant je suis seul. J’organise mon quotidien autour des animaux. Ils me tiennent encore debout. C’est ma seule raison de vivre.
Je comprenais maintenant son attachement pour les animaux. Il avait deux ânes, un ou deux chiens et des chats récupérés au fil du temps. Ils étaient les rois chez lui. Ils savaient, eux, lui rendre ce qu’il leur donnait. Un abri et beaucoup d’amour.