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Mamie Arc-en-ciel.

Le 11 Septembre 2019 au milieu des estives. (réserve naturelle des jasseries de Colleigne (col de Béal)

Le soleil est au rendez-vous. Après avoir grimpé, ce que je nommerai une colline anodine pour nous, nous nous retrouvons sur une sorte de plateau immense.

C’est magnifique, comme je l’avais abordé la veille nous sommes dans les estives, rien que pour Cabotte et moi. Alors que nous cherchions un lieu pour bivouaquer j’aperçois au loin sur un chemin cahoteux une personne.

Elle se dirigeait vers nous tranquillement ; à pas lents, elle sautillait adroitement entre les cailloux erratiques. Lorsqu’elle est arrivée à notre niveau, elle s’est arrêtée, puis engagea la discussion heureuse de nous rencontrer. Elle rayonnait.

– D’où venez-vous ?

Je lui décrivais mon périple et mes motivations en quelques mots. Elle écoutait avec attention. Puis elle embraya sans retenue.

– C’est bien de réaliser ses projets. D’aller au bout de soi même. La vie est courte. Croyez-moi j’en ai fait l’expérience. Il y a quelques années j’ai passé six mois dans un coma profond. J’étais paralysée. Dans une impasse. Je m’en suis sortie par miracle. C’était inespéré pour mes proches. J’ai ressuscité. Depuis j’ai pris subitement conscience du monde dans lequel je vivais. À soixante-dix-huit ans je vis, revis à plein temps chaque instant. Chaque heure est un cadeau du ciel. Un bonus. Je le savoure en le respirant profondément.

– Je vois bien. Vous portez en vous une sacrée vitalité.

– Cette énergie est différente d’avant mon souci de santé. Avant je vivais comme tout le monde. Je ne me posais guère de questions. J’avançais parce qu’il fallait bien avancer. Dans l’effervescence chaotique du quotidien. Aujourd’hui, je médite sur les fondamentaux de la vie terrestre. Je suis relâchée de l’intérieur. Je suis attentive pour mes enfants et petits enfants. Je me sens plus libre et d’une certaine façon plus tolérante. Meilleure je crois. Lorsque je le peux je viens ici me balader.

– C’est un endroit magnifique.

– C’est pour moi un endroit magique. Je m’y sens bien. Je me fonds dans ce décor. J’en fais partie comme chaque caillou sur ce chemin. Le paysage est légèrement mouvant. C’est perceptible à celui qui prend le temps de l’observer. À chaque saison ses changements délicats, ses odeurs et ses couleurs. J’aime les couleurs. Je les porte sur moi. Vous savez comment m’appellent mes petits enfants ?

– Je ne sais pas ! Puis-je deviner ?

– Mamie Arc-en-ciel, me dit-elle dans un éclat spontané de joie.

– Mamie Arc-en-ciel ! quel beau nom. Elle était colorée de la tête aux pieds, un arc-en-ciel, effectivement, lui était tombé dessus. Elle en portait les couleurs avec une certaine grâce. Il n’y avait aucune extravagance dans ses vêtements. Elle était sereine et stylée. Tout cela lui seyait à merveille. Elle reprit.

– Je voudrais mourir ici. Elle me montre avec son bâton de marche une espèce de colline désertique, un promontoire où elle vient très souvent méditer et se ressourcer.

– Vous savez je n’ai pas peur de mourir. Je suis en paix avec cela. Il faut bien un jour disparaître. Plonger dans l’au-delà. J’ai été épargnée une fois. Juste pour me remettre à ma place. Je voudrais que l’on respecte ce qui est beau, la nature sauvage entre autres, même la plus insignifiante ou discrète. Ce lieu par exemple. Je voudrais aussi que l’on retienne ma joie de vivre. C’est tout.

Elle est repartie avec précaution, sans se retourner, en s’aidant de son bâton de marche. Elle faisait son tour, sa récréation. Je ne sais pas où elle allait et pour combien de temps elle partait. Cela n’avait pas d’importance. Nous la regardions s’éloigner sûre de sa destination.

Cabotte se retourna vers moi.

– Une drôle de dame Ô mon bon maître.

– Elle s’appelle « Arc-en-ciel ». C’est une belle personne. Je me souviendrai d’elle longtemps.

– Moi aussi. Je me demande ce qui la fait tenir debout ? Elle n’est pas très jeune.

– Le bonheur d’être vivante et aimante.

– Ce doit être cela son secret, confirma Cabotte.

Et l’on reprit notre route. La journée n’était pas terminée. Il nous fallait trouver un endroit. Nous avons bien marché plus d’une heure, jusqu’à ce que je repère trois arbres isolés en plein milieu de nulle part. Un endroit idéal pour se sentir loin du monde, en dehors des réalités.

En début de soirée les vaches sont venues nous visiter. Un bon troupeau d’une trentaine de têtes. Elles nous ont observés de leurs grands yeux noirs plein de mansuétude. Elles étaient curieuses de voir ce que nous faisions sur leur terrain de jeu. Je leur ai parlé de notre histoire. Pourquoi nous étions là. Et de notre départ demain matin à l’aurore. Nous n’étions que de passage. Je les ai convaincues et rassurées. Elles sont reparties à l’unisson, tout d’un coup, tranquillement dans un silence total et solennel. Comme si elles s’étaient donné le mot. Ce soir elles nous veilleront à distance pour nous laisser en paix. J’en suis certain. C’est beau une vache.

sdr

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