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L’homme aux sept nids d’hirondelles

Le 06 Août 2019 Poiseul-lès-Saulx


Après un bon moment de marche contemplative nous arrivons à Avot.

Un petit village sympathique de quelques maisons à peine comme il en existe des centaines sur notre hexagone. J’aperçois un café. J’ai envie d’un café. Une odeur de café me titille les naseaux. Je m’arrête. J’ai toujours aimé les bistrots, les troquets, les cafés ; que ce soit en milieu rural ou urbain. C’est une approche ethnique (un bien grand mot) souvent révélatrice d’une certaine ambiance globale. C’est aussi un lieu ressources lorsqu’on cherche un renseignement. En ville ces lieux situés dans le centre ont perdu leur attrait et leur personnalité. Ils se transforment dans bien des cas en brasseries aseptisées, froides, et impersonnelles ; ou en des lieux pour bobos et faux bourgeois en quête d’esthétisme avisé conforme aux vertus de la pensée bien-pensante du moment. Ces derniers sont là pour se rassurer. Rien de tel que de se retrouver avec des gens comme vous. Le brassage sociologique a disparu depuis belle lurette pour des raisons de choix par les tenanciers de ces établissements. Un café à 1€80 (au plus bas) et une bière (certifiée de qualité, c’est le minimum syndical espéré) à 7€ pour un chiffre rond, sont excluant pour l’ouvrier, le jeune fauché, le nomade comme moi et les petites gens en général. On choisit ainsi sa clientèle par l’argent. Et ça marche. La sélection économique efficace.
Mais dans ce café rien à voir. Les personnes pour la plupart âgées qui sont là à cette heure, y sont pour échanger quelques mots, s’entretenir des potins de la commune, se rencontrer pour sauvegarder le lien social. La solitude rurale est forte, lourde et prégnante dans la vie quotidienne. Je commande mon café. Un homme ne cessait de me regarder. Il insistait. Je le laisse faire. Fais mine de ne l’avoir point vu. C’est assez désagréable d’être ainsi le sujet d’une étude détaillée. Je me demande ce qui le turlupine à ce point.
Je me retourne, cherche et croise son regard. Celui-ci se dérobe, surpris d’avoir été dérangé dans ses explorations. Je m’adresse alors le plus naturellement du monde à cet homme.
– Bonjour.
– Bonjour.
– Voilà, vous allez peut être me renseigner. Je n’ai jamais vu autant d’hirondelles sur les fils. Elles avaient disparu de nos campagnes. Comment se fait-il qu’il y en ait autant dans ce village ?
-C’est assez simple, les insectes sont plus nombreux. Les hirondelles aussi. Elles sont insectivores. Elles ont besoin de nourriture. Elles ne s’installent qui si elles ont quelque chose à se mettre dans le bec. Le ventre.
Notre homme était parti dans un long développement sur ce qu’il savait. Il tenait à me le transmettre. Ne lui avais-je pas demandé ? Il était maintenant très décontracté et ses mots sortaient de sa bouche à la volée. Une envolée de bon sens. Il m’invita à sa table.
– Il y a un autre facteur pour que les hirondelles viennent. Celui-là est aussi important que les insectes.
– Un autre ! Lequel ?
– Leur habitat. C’est primordial. Aujourd’hui on ferme tout avec obsession. C’est incroyable cette manie de verrouiller les endroits où pourraient éventuellement nicher les hirondelles. Les granges ne sont plus ouvertes. Certaines pour des raisons douteuses ou abusives de prophylaxie ou de vol de matériel. Quant aux étables très prisées des hirondelles elles se sont transformées en stabulations dites libres, c’est-à-dire ouvertes à tout vent. Les hirondelles sont constamment à la recherche d’un lieu propice et durable où elles peuvent s’installer en toute sérénité. Personne ne tient compte de l’avis des hirondelles. Car personne ne se soucie de leur disparition. Comme les insectes d’ailleurs.
– C’est bien vrai. Vous avez raison.
– Il ne faut pas que le constater. S’en satisfaire. Coire en une fatalité irrémédiable. En ce qui me concerne ma grange est ouverte de la fin de l’hiver à l’automne. Et vous savez ce qui se passe ?
– Les Hirondelles viennent.
– Exact. Et reviennent d’année en année. Vous savez combien j’ai de nids ?
– Je ne sais pas moi. Deux ou trois. Peut-être plus. Ce n’est déjà pas mal deux. Non ?
– Vous êtes loin du compte. Il y en a sept. Vous entendez bien, sept. Entre les parents et les petits ça fait du monde. Il y a du trafic, des allers et venues incessants. Elles sont vives, rapides, adroites, inspirées et gracieuses dans leurs infinies trajectoires. Elles se croisent et se décroisent sans jamais se percuter. J’adore les regarder voler dans le désordre total. Elles se posent sur le rebord de leur nid avec précision et délicatesse. Je ne m’en lasse pas. Jamais.
– Ça veut dire aussi que la plupart des hirondelles que je vois viennent de votre grange.
– C’est exact. J’en suis très fier.
Cabotte émet un début de braiement. Juste l’amorce d’une plainte, d’un appel. Elle me signale ainsi qu’il est temps d’aller voir ailleurs si l’herbe n’y est pas plus présente. Elle n’aime pas rester trop longtemps à m’attendre. Surtout en ville où il n’y a rien à brouter, à faire. J’en profite pour annoncer à mon interlocuteur que je dois m’en aller.
– Cabotte s’impatiente. J’ai encore du chemin à parcourir. Je vous remercie de m’avoir si bien parlé des hirondelles. Là où elles nichent elles portent bonheur. Vous le portez en vous. Vous savez les aimer.
– Merci. Je voudrais vous dire que votre ânesse a de beaux sabots. Vous aussi vous savez l’écouter et l’aimer. Elle vous le rendra au centuple. J’en suis persuadé. Je vous souhaite une bonne journée.

 

Nous sommes arrivés à Poiseul-lès-Saulx sans encombre sous une chaleur acceptable. Les feuilles de certains chênes se recroquevillent, sèchent et restent sur les branches. Les arbres subissaient un stress hydrique important. Nous sommes à peine début Août. Ça devient très inquiétant. La forêt manque d’eau. L’herbe se raréfie. Je n’ai presque plus de granulés pour Cabotte.
Le maire m’autorise à dormir dans un réduit où se trouve un four à pain. L’endroit est largement suffisant pour passer une bonne nuit. Celle-ci fut en réalité très agitée Une voiture hystérique et nerveuse (certainement son conducteur) ne cessait de faire des allers-retours en traversant le bourg du village à plein régime. De plus dans une maison voisine on y faisait la fête. Des jeunes pleins d’énergie s’agitaient à s’en retourner le cerveau. Ils vivaient une ivresse estivale. C’était bruyant par intermittence, mais suffisamment pour m’empêcher de dormir. C’était les vacances. Ils en profitaient. C’était bien normal.

 

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