Les trois sœurs.
Le 04 Août 2019 Lamargelle-aux-bois (Vals-des-Tilles).
Nous voilà dans un merveilleux tunnel de verdure, en pleine forêt de chênes et de hêtres. Un beau sentier bien large aux odeurs délicates de sous-bois. Ce bonheur de marcher ainsi, les poumons largement déployés, ne pouvait durer toute une journée. C’eut été un luxe. Un cas unique. Trop de bonheur ! D’un coup ! Ce ne peut être envisageable.
Un hêtre couché sur le chemin forestier nous empêche de passer. Le problème n’est pas insurmontable et Cabotte en un tourne patte contourne l’obstacle avec agilité et détachement. En haussant les épaules ! Si j’ose dire. Une rigolade pour elle. Quelques minutes plus tard, un deuxième arbre en travers. Cette fois-ci, ce n’est pas la même histoire. Une reconnaissance s’impose. Il nous faut grimper un talus assez raide ; longer pendant quatre cents mètres au moins le chemin sur un terrain irrégulier fait de creux et de bosses et encombré d’arbustes, de ronces, de paquets de houx et de branches mortes entremêlées. Un vrai parcours du combattant avec certainement quelques surprises en prime. Je prépare Cabotte à ce nouveau défi. Elle escalade le talus avec difficulté. Ce n’est que le début d’une chaotique traversée. Je cherche le meilleur chemin en allant de gauche à droite… Une bonne avancée encourageante… Un retour en arrière… Une hésitation… Une tentative… Ouf ! Passés ! Encore une fois. C’était limite. Déjà quelques mètres de gagnés. Et ainsi de suite. Les sacoches sont malmenées lors de certains passages en force. Le bât tient bon. J’ai peur de tout casser à vouloir insister comme un malade. Suis-je inconscient ? Malgré tout nous avançons laborieusement mais sûrement. Mètres par mètres. Arrive enfin le bout du tunnel. Pas tout à fait à en voir la descente que nous devons réaliser pour atteindre le chemin en contrebas. Ça ne va pas être facile. J’envisage de débâter pour alléger ma fidèle Cabotte. Je descends le talus pour évaluer la pente. Ça sent le demi-tour. Bizarrement je ne m’énerve pas. Je reste stoïque et fataliste face à l’ampleur du problème. J’interroge ma Cabotte du regard. Elle semble cogiter à l’infini. La voilà qui tâtonne de ses antérieurs, elle cherche une solution de passage, puis s’engage prudemment, se laissant aller à l’inspiration. À moitié pente, elle se met à glisser des quatre sabots sur quelques mètres, les postérieurs légèrement fléchis comme les skieurs, puis s’immobilise debout dans un amas de feuilles et de terre ramassées. Les sabots plantés dans le sol. Je l’applaudis de soulagement. Elle vient de dévaler le talus comme une équilibriste. Un exploit. Je n’en reviens pas. Elle se remet en route avant même que je le lui ordonne. Peu fière de me montrer la route à prendre. Le chargement avait bien résisté à mon grand étonnement. Encore une chance.
Nous arrivons à Lamargelle-aux-bois (Vals-des-Tilles).
Un petit hameau bien tranquille.
Une dame nous interpelle et vient à notre rencontre en affichant un large sourire de bienvenue. Nous discutons de mon projet lorsque deux autres nous rejoignent. J’apprends rapidement qu’elles sont sœurs. Trois sœurs : Marie-Odile, Lisa et Sabine. Elles se partagent une maison familiale. Une ancienne ferme pleine de souvenirs transformée en habitation. Je les trouve sympathiques et d’une gaîté communicative. Elles avaient de l’énergie à revendre. C’est très agréable d’être accueilli ainsi, comme un enfant prodigue après une longue absence. Une bonne et valorisante sensation.
Nous voilà installés dans leur verger. Je prends mon temps me laisse vivre à ne rien faire. Tout se termine au mieux. La mésaventure du matin est déjà oubliée. Une journée chasse l’autre avec son lot de surprises. C’est très excitant même si parfois les choses ne sont guère agréables. Il suffit de les accepter comme elles viennent. Telles qu’elles sont. Et elles viennent sans que l’on ait à les attendre. Les meilleures sont à consommer sans modérations. Comme si c’étaient les dernières.
En fin d’après midi une des trois sœurs vint me voir. Je ne sais pas laquelle ? Son prénom ! Je dois avouer ici que je n’en retiens aucun. Ce n’est ni par négligence ni par manque de respect, je n’imprime pas tout bonnement. C’est parfois très embarrassant lorsque tu parles à quelqu’un et que tu es incapable de trouver son prénom. T’as beau chercher, ton cerveau patine sans résultat. Tu utilises des subterfuges pour faire bonne figure. Mais l’exercice reste périlleux. Ici, j’en retiendrai la générosité de sa proposition. Quant à son prénom vous avez le choix.
– Si vous voulez vous pouvez vous abriter dans cette maison pour la nuit. Nous sommes en train de la retaper. Il y a une pièce libre. Moins encombrée que les autres. Elle me fait visiter la maison de la cave jusqu’au grenier. Superbe bâtisse. Il y avait de fantastiques possibilités d’aménagements.
– Je vais mettre le chauffe-eau en route. Vous aurez de l’eau chaude pour une douche. Puis ce soir, je vous invite à manger à la maison. Mes deux sœurs ne seront pas là. Elles sortent voir un spectacle musical. C’est bien dommage. Elles sont désolées.
Je n’en demandais pas tant. D’ailleurs je ne demande jamais rien. Je n’ai jamais dérogé à ce principe de base. Les personnes qui m’invitent le font parce qu’elles en ont envie. C’est super agréable d’être invité car je n’ai rien à faire. Je suis libéré de certaines contingences quotidiennes. Celles-ci me prennent beaucoup de temps. Entre autres, monter ma tente, me préparer à manger, ranger et organiser mes affaires et celles de Cabotte. Cette répétition est lassante à la longue. Sans ces vicissitudes je me sens plus libre et disponible pour les autres. J’apprécie. Je respire mieux. J’espère que c’est réciproque.
En fin d’après-midi, je l’aperçois dans son (leur) jardin. Là encore je cherche son prénom. Pourtant j’ai le choix. Elle s’appellera Sabine. Un des trois prénoms disponibles. Si ce n’est pas elle, elle me pardonnera. Ce qui compte c’est ce que nous avons partagé. Je dois avouer que les trois sœurs semblent indissociables. Tout cela pour dire que je suis allé la rejoindre dans son jardin. Je l’ai aidée à arroser les tomates, haricots, etc. C’était sympa et agréable. Elle aimait son jardin et en prenait soins. Les légumes prospéraient malgré la sècheresse. Un beau jardin est la fierté de celui qui s’en occupe. À son image. Elle n’échappait pas à la règle. Les légumes en sont meilleurs.
Nous avons passé la soirée tranquilles à deviser de choses et d’autres. Elle me raconte qu’elles ont quitté leur région pour le travail comme beaucoup de jeunes de cette génération. À la retraite, elles s’y installeront. Certaines le sont déjà. Elle m’apprend que nous sommes sur le partage des eaux entre la Manche et la Méditerranée. Ce fut pour moi une surprise.
Je me souviendrai longtemps de la crème de cassis et d’un sorbet cassis-groseille. Un régal. Ne sommes-nous pas au pays des fruits rouges ? Près de Dijon. J’aime l’acidité des fruits rouges en général. En plus d’être bien reçu, j’étais bien servi.
Le lendemain je me suis levé avec le soleil. Nous étions prêts avec Cabotte pour de nouvelles aventures. Nous passons devant la maison des trois sœurs. Pas âme qui bouge. Rien ne m’indique qu’elles sont debout. C’était certainement trop tôt pour elles. J’attends un long moment en espérant leur dire au revoir et les remercier. Je ne puis partir comme un sauvage, comme si rien ne s’était passé. Ce n’est pas mon genre. À huit heures trente personne. Le soleil commence à devenir de plus en plus insistant. Nous devons partir. C’est à regret que nous quittons les lieux. En jetant un dernier regard avant de disparaître définitivement à l’angle d’une rue : une apparition. Une des sœurs dans l’embrasure d’une fenêtre au premier étage de la demeure familiale agitait son bras en signe d’au revoir. Un peu plus loin, à une autre fenêtre les deux autres sœurs suivaient avec le même enthousiasme. Elles nous souhaitaient une bonne continuation. Le bouquet final. Je les remerciais en agitant moi aussi le bras. C’était inattendu et très drôle comme situation. Un bon présage.
Un peu plus loin une personne m’invitait à prendre un petit déjeuner.
– Vous étiez où hier soir ?
– Chez les trois sœurs.
– Je crois qu’elles ne sont pas très matinales ?
– En effet, mais elles sont super sympas.