Les jours se suivent mais ne se ressemblent pas.
Le 16 Mai 2019 Saillans.
Je décide de prendre le tracé du GR 9. Au début très accessible et agréable. Puis au fur et à mesure de notre avancée le sentier se rétrécit et devient plus accidenté. Je commence à me demander si c’était la bonne option. Trop tard nous sommes déjà trop engagés sur le terrain. Je prends le risque. Nous avançons tant bien que mal. Les sacoches ont quelques frissons désagréables. Cabotte escalade des parties difficiles sans rechigner. Aujourd’hui elle est en forme.
Je commence à me dire que si toute la journée est comme cela, ça va être très chaud. De plus un retour en arrière serait une journée supplémentaire de marche pour arriver à Saillans.
Nous arrivons enfin au sommet des trois becs. Superbe. J’ai vu un trou ou la fenêtre sur un des rochers. Je n’ai pu apprécier réellement le paysage car la descente déjà me préoccupait.
J’ai eu un mal fou à trouver le sentier. Il était à peine dessiné. Je devais constamment le chercher. Il y avait parfois des moments de répit. Ils étaient plutôt rares. Je restais en vigilance active pour anticiper les passages compliqués pour Cabotte. Ça passait chaque fois. Alors je respirais. Il nous fallait avancer. C’était interminable et angoissant comme situation.
Après une épingle à cheveux nous amorçons une descente longue et très abrupte au début. Cabotte glissait par endroits mais se reprenait avec adresse. Je n’osais pas trop regarder. J’avais peur pour elle. Elle semblait s’accommoder des difficultés. Je suis admiratif.
Ce qui devait arriver, arriva. Je commençais à me dire que le plus dur était fait quand nous fûmes bloqués par un arbre mort couché en travers du sentier.
Cabotte était dépitée. Elle prend le relais de l’histoire.
« J’étais moi aussi fatiguée. Je n’avais plus la force de faire demi-tour. Mon Maître très perturbé chercha un passage. Je ne pouvais être d’aucune aide. Mon boulot est de porter des bagages. Rien d’autre. Ce n’est pas de mes compétences. J’étais inquiète mais je lui faisais confiance. Il a toujours trouvé une solution dans les moments les plus délicats.
Le voilà donc en train de scier avec son couteau magique un arbre aussi gros qu’un sabot avant d’ânesse. Croyez moi ça prend du temps. Il avait la rage et le devoir de réussir. L’arbre par terre il entreprit de dégager quelques arbustes et branches. D’un coup de pied puissant et motivé il épointa le bout de l’arbre mort. Ensuite il leva l’arbre suffisamment haut pour le faire pivoter et dégager ainsi une partie du sentier. Je suis passée sans me faire prier enfin soulagée. Bravo mon Maître. »
Enfin nous sommes repartis. Je n’en pouvais plus, une demi-heure de boulot. Nous étions encore loin de Saillans. Puis rebelote. Un autre arbre en travers du sentier. Celui-ci, un hêtre était énorme. Il était partiellement couché sur le sentier. Son tronc était à un mètre trente du sol et formait une voûte pas suffisamment haute pour que Cabotte passe dessous. Par chance en dégageant des arbustes et des branches sur le côté talus, Cabotte pouvait s’engager sans même la débâter. La scie n’avait jamais autant fonctionné. Après un acharnement d’une demi-heure Cabotte a rejoint, en frottant légèrement, l’autre côté du sentier. Ouf !
J’ai hâte d’en terminer avec ce sentier. C’est un vrai cauchemar avec un âne bâté, fut-il aussi habile que Cabotte.
Enfin la route. Je ne vais plus reprendre le sentier. Je me dirige vers Saillans bien content d’en terminer avec ce satané sentier.
J’avais soif, ma bouche était sèche et je n’avais plus d’eau depuis un bon moment. Je demande de l’eau à un homme qui venait d’arriver chez lui à vélo ou plutôt en tricycle. Je me demande si je n’avais pas eu une hallucination. Un tricycle ! La fatigue certainement.
Je bois de l’eau abondamment. Il va en chercher aussi pour Cabotte. Il me dit que si je voulais je pouvais rester chez lui. Il trouverait bien une place pour Cabotte. Il avait du terrain et de l’herbe à proximité. Il voyait bien que j’étais au bout du rouleau. J’avais un mal fou à désangler le barda. J’oublie même d’enlever une sacoche et le bât s’est mis à tourner lorsque j’ai desserré la sous-ventrière. C’est pour dire.
Ses enfants arrivent avec leur mère. Ils sont plein d’énergie. Une fille de neuf ans et un garçon de onze ans. Enfin je crois dans cette tranche d’âge. J’apprends à l’aîné à lancer un couteau sur une cible. Il s’agit d’un couteau à la lame adaptée non coupante. Après plusieurs tentatives il réussit. Le couteau malmené n’apprécia guère le sol dur et les cailloux. Sa sœur alla brosser Cabotte puis entreprit de monter sur le cerisier. Son père lui avait construit une sorte d’échelle en bois. Elle était leste et habile. Elle n’avait pas peur de tomber. C’est super de laisser des enfants de cet âge expérimenter leur environnement. Aujourd’hui les parents, me semble-t-il, surprotègent leurs enfants à tel point qu’ils n’osent plus rien tenter. Ils se font engueuler avant même d’avoir essayé. C’est bien dommage. Ils ne deviendront pas des aventuriers. Il faut leur faire confiance. La plupart savent évaluer le risque potentiel de ce qu’ils entreprennent.
J’ai mangé avec eux. Une plâtrée de spaghettis à la sauce tomate améliorée et inconnue. C’était bon et appréciable après une telle journée d’effort.
Le soir je prends une tisane avec eux. Ils ont aussi un troisième enfant très jeune. Un peu plus d’un an. Il va de l’un à l’autre. Il ne marche pas mais court à quatre pattes. Au coucher il accapare son père. Il ne veut pas s’endormir. C’est un métier d’être parents. Il avait commencé une lecture avec sa fille. Il n’a pas pu la terminer. Je prends naturellement le relais. Je lui lis une histoire. Elle m’en impose une deuxième non prévue au programme. Ce n’est pas tous les jours que je lis des histoires pour les gamins. Puis tout ce beau monde va se coucher. La maman était absente ce soir là.
J’ai pu discuter avec lui. C’est un artiste confirmé. Du Slam improvisé. Il réalise de belles prouesses poétiques et percutantes. J’ai regardé sur internet ses performances scéniques. Il est accompagné d’un musicien qui lui aussi improvise. Je vous conseille d’y jeter un coup d’œil. Ça vaut le coup. Son nom est Arthur RIBO. Une belle découverte.
Cette nuit je dors sans me faire prier.