Le Bonjour de Cabotte la rebelle.
Le 04 Juillet 2019 Montandon.
Une journée sous une chaleur accablante. À la première ferme que je rencontre je m’arrête. Je suis ensuqué dans une moiteur tropicale. J’ai chaud. Je colle de partout. Il est plus de treize heures. Le soleil tape comme un malade. Je m’avance vers la maison d’habitation. J’entends du bruit. Ils sont en train de manger certainement. Ils sont nombreux à table. Je me manifeste.
– Il y a quelqu’un ? Je le répète plusieurs fois. De plus en plus fort. J’insiste.
Après un long moment, un homme vient me voir. Il me scrute longuement de la tête aux pieds. Il n’a posé aucun regard sur Cabotte. Pour une fois ! Il s’en fout royalement. Accueil plutôt froid et distant. Inexistant si je suis honnête. J’ai l’impression de le déranger. Je le dérange vraiment. C’est très mal engagé.
– Que voulez-vous ?
Je lui explique en quelques mots en allant à l’essentiel sans passer par la case descriptive du projet.
– Je suis exténué, je voudrais trouver un bout de terrain pour moi et mon ânesse.
Il me regarde intensément. Cela en est presque dérangeant. J’ai été pour une fois mal inspiré. Il est peu bavard. Il réfléchit. Puis tout d’un coup se lance.
– Vous avez un champ juste à côté. Vous pouvez vous installer. Il y a de l’herbe en abondance et de l’eau pour l’ânesse.
Je n’ai pas eu le temps de le remercier que déjà il était rentré chez lui. Terminer son repas. Drôle d’impression. Impression d’avoir demandé une faveur. Tu te sens mal à l’aise de l’avoir obtenue. Je ne suis pas du tout au bon endroit.
Je me dirige vers le pré. L’herbe est haute. Elle m’arrive à mi-mollet. Je repère un bosquet composé par de misérables et faméliques chênes. Un peu d’ombre sous un soleil de plomb c’est déjà ça de bien. De pris. Je positive.
Alors que je débâtais Cabotte elle me dit tout de go.
– J’ai l’impression que les paysans ne nous aiment pas.
– Pourquoi dis-tu cela ?
– Je ne sais pas moi. Ils disent rarement bonjour. C’est toujours toi. Ensuite ils nous répondent ou pas. Certains lèvent juste la main sans même nous regarder. Trop d’effort pour eux. Ils passent juchés sur leur tracteur comme si nous n’existions pas. Ils ont comme on dit d’autres chats à fouetter. C’est désagréable. Affligeant.
– Cabotte tu exagères. Tu dis ça parce que pour une fois tu n’as pas été le centre du monde. Il t’a ignorée. Tu es vexée. Il te faut revenir sur terre ma Cabotte.
– C’est trop facile ce que tu avances. Il n’empêche que le paysan de tout à l’heure, ne nous a pas dit bonjour. Pour toi c’est normal. C’est bizarre non ? Et toi tu sembles le défendre. Il n’y a pas de logique dans ton histoire.
– Il faut les comprendre.
– Comprendre qui ? Quoi ?
– Les paysans s’échinent à travailler leur terre du matin au soir. Ils… Elle me coupe dans mon début d’argumentaire.
– Ce n’est pas une raison. N’empêche que notre paysan du jour, ne nous a pas dit bonjour. Et ça si ce n’est pas un signe de mépris. Je ne connais rien à la vie. Que l’on m’arrache un sabot, que l’on me coupe la crinière, que l’on me tire mes belles et longues oreilles d’âne.
Je reprends vite la main. Je dois la contrer. Elle part dans un délire sans fin. Elle non plus n’est pas objective dans ses propos. Elle généralise trop. Un paysan que ne te dit pas bonjour et tous les paysans seraient malpolis ou mal éduqués ou pas éduqués du tout.
– Les paysans travaillent la terre. C’est leur outil de travail. Leur lieu de travail. Ils ne s’y promènent pas par plaisir comme nous qui parcourons une partie de la France. En flânant en plus aux yeux de tous. Eux, ils y transpirent tous les jours par tous les temps. Ils ont d’autres préoccupations que nous. Ils ne content pas fleurette comme nous. Mignonne allons voir si les prés sont fleuris, arrêtons-nous un instant humer l’air du printemps, etc. Alors quand ils voient des énergumènes comme nous se balader en toute liberté; ils ne peuvent s’empêcher de penser.
« Quelle bande de fainéants »
« Ils n’ont rien d’autre à foutre qu’à nous regarder »
« Qu’ils viennent nous aider »
« À quoi servent-ils ?»
« Ils nous narguent en plus »
« Un âne et un couillon, une drôle de paire »
« Quelle misère de voir ça »
Etc.
– Je ne vois pas où tu veux en venir ô mon bon Maître. C’est leur problème envers les autres. Cela ne devrait pas les empêcher de dire bonjour. Bon. Jour. Ce n’est pas difficile à prononcer. Deux syllabes à la portée de n’importe quel crétin. Celui de tout à l’heure n’a pas dit bonjour. Ni rien d’autre d’ailleurs. Ils ne sont pas vraiment sympas les paysans.
– Arrête Cabotte. Tu me prends la tête. Va paître l’herbe du paysan qui ne t’a pas dit bonjour. Ça suffit maintenant.
Elle se retourne et s’éloigne d’un pas faussement tranquille puis se jette sur quelques touffes d’herbe et les arrache à grandes bouchées. Elle est plus que jamais motivée. Elle se venge. Et si c’était vrai ce que rabâche Cabotte. Elle n’est pas sotte ma Cabotte. Il doit y avoir du vrai là dedans.
Ce que je sais, ayant vécu dans une ferme, le paysan reste méfiant. Mais il sait en deuxième temps être généreux. N’est-ce pas ma Cabotte ? Elle est bonne l’herbe ? N’est-ce-pas ?
N’oublie jamais ma Cabotte qu’un champ appartient à un paysan. Un champ nourrit les hommes et les ânes d’une façon ou d’une autre. Cabotte n’est plus là pour me répondre. Heureusement. Elle arpente le terrain à la recherche de la bonne herbe. Elle repère ainsi les endroits intéressants. C’est sa manière de s’approprier les lieux.