Je voulais voir le Ballon d’Alsace. J’y suis. Me voilà.
Le 15 Juillet 2019 Saint-Maurice-sur-Moselle
Une journée plutôt tranquille. J’ai rendez vous avec Ramon un copain que j’ai connu sur Paris, chez une bande de fous furieux très sympas, lorsque j’y traînais mes guêtres. Nous avons passé de bons moments festifs ensemble. Souvent très arrosé mais toujours très convivial. En réalité je connais peu Ramon mais j’ai toujours su que c’était un type sympa à connaître en dehors du délire de la fête. Bref.
Je lui donne rendez-vous au pied du sentier qui monte en haut du ballon d’Alsace. Il laissera sa voiture en bas. Un de ses copains journaliste, Gautier Traber de l’Ami Hebdo, nous rejoindra dans un restaurant près des pistes de ski. Celui que l’on trouvera. Rien de prévu.
Nous grimpons tranquillement le sentier dans la forêt. Cela nous permet de discuter de choses et d’autres. Je ne sais pas si c’est le fait que Ramon soit là, mais nous avalons le sentier en peu de temps à mes yeux. Mon esprit est avec Ramon ; pas concentré sur le sentier ou ailleurs. C’est la première fois que je marche accompagné de quelqu’un depuis déjà plusieurs mois.
Tout le monde est en forme. Je suis fier de présenter Cabotte à Ramon. C’est une grande dame. Elle en impose par sa régularité. Je me répète, je suis fier d’elle.
Nous arrivons en bas d’une piste de ski.
Nous nous arrêtons à une sorte de gite pour nous renseigner où trouver un restaurant pour midi. Le propriétaire nous recommande d’aller chez Rose, une pizzeria à quelques encablures de chez lui. Vu l’heure avancée on ira chez elle.
– C’est simple, vous longez la piste puis en haut vous redescendez. C’est juste en bas près de la route. C’est un raccourci pour arriver chez elle.
Comme raccourci c’est réussi ! Nous avons effectivement, en haut pris sur notre gauche et descendu une pente plutôt raide. D’ailleurs Cabotte est tombée. Elle a glissé; le temps de me retourner elle était déjà debout. Rien de grave. Elle ne boitait pas. J’étais rassuré. C’est l’essentiel. Je devrais apprendre à skier à Cabotte à mon retour. Glisser sur quatre sabots ce n’est pas évident sans s’emmêler les spatules. Pauvre Cabotte. Donc arrivés en bas, rien de ce qu’il nous avait dit le bonhomme. Par déduction et grâce à mon GPS nous trouvons la fameuse pizzeria. Une chance, elle était encore ouverte.
À peine étions nous arrivés que Rose, une dame d’un certains âge, est venue à notre rencontre. Enfin nous pensons que c’est elle. Elle s’informe de notre histoire et trouve cela très amusant et singulier. Elle n’en voit pas tous les jours des duos comme Cabotte et moi. Nous pouvons encore manger. Cabotte est laissée libre sur le parking.
Elle ne pouvait pas aller bien loin. Chose étrange et peu commune, une vidéo de surveillance contrôlait les entrées et sorties des véhicules sur le parking. La définition de l’image était très mauvaise, mais je pouvais distinguer une tache noire qui se baladait sur l’écran. C’était ma Cabotte. Ce lieu ressemblait plus à un restaurant classique. Il y avait une ambiance colorée dans un décor de meubles traditionnels, un peu à l’image de Rose. Là aussi c’était surprenant.
Nous avons mangé une pizza et bu des demis. Le copain journaliste de Ramon est venu un peu plus tard. Il m’a interrogé sur le fond de mon périple. Je lui ai dit aussi qu’il pouvait consulter mon site et mon blog. Le projet y était expliqué avec ses divers objectifs.
À la fin du repas Rose est venue vers moi. Elle me dit qu’elle sait lire sur les visages. Le mien, plutôt émacié en ces jours d’efforts intenses, visiblement l’inspirait. Elle me trouve toutes les qualités du monde. Je suis généreux, d’une grande sagesse, plein d’initiatives et de créativité, je possède de la témérité à toutes épreuves, je ne lâche jamais et j’en passe des plus honorables ! Au niveau du signe du zodiaque (bélier entêté, tête à cornes, toujours prêt à repartir !) je suis bien loti. Il semblerait que les autres planètes gravitant autour de mon signe aient une influence positive sur moi. Le top. Je suis un être bien né, au bon moment, à la bonne heure, au bon endroit, etc. Quelle chance. Les cieux sont avec moi.
Mon égo n’a jamais été aussi bien chromé. Je me sens en lévitation au-dessus de tout soupçon. Je suis modestement un être exceptionnel. Le monde m’appartient. C’est un fait. Comme dirait vulgairement l’autre je ne me sens plus pisser.
Ramon n’est pas en reste. Le journaliste non plus. Je n’ai pas très bien capté ce qu’elle leur a dit. Mais ça avait l’air très positif tout cela. J’étais trop préoccupé à savourer mon émoi tout émoustillé de tant de qualités. Nous avons bien rigolé des analyses avantageuses de Rose. Nous étions des êtres parfaits ou presque. Elle a tout bonnement occulté que nous étions des êtres inachevés en bonne voie d’humanisation. L’a-t-elle fait sciemment ? Aucune réponse n’est envisagée de notre part.
Ensuite Ramon et le journaliste sont allés chercher la voiture restée en bas dans un parking. J’ai continué avec Cabotte à nous diriger vers le ballon d’Alsace. Nous avions une bonne heure bien tassée avant d’atteindre l’endroit que Rose nous avait recommandé juste après le col du ballon d’Alsace, dans la descente. Mais surprise ! Le lieu est une colonie de vacances grouillant de gamins. Nous étions en juillet et le centre fonctionnait à plein régime. C’était inenvisageable que nous y passions la nuit.
Je décide de continuer à descendre jusqu’à ce je trouve un endroit pour la nuit. Ramon est parti en voiture vers le village plus bas. Le temps que j’arrive ! Il avait le temps de s’occuper à autre chose et de boire plusieurs demis. Il revient pour me dire qu’il avait repéré un centre équestre : Le centre équestre du Ballon d’Alsace.
Une aubaine, les centres équestres ne m’ont jamais refusé. Je descends enfin soulagé. J’ai au moins une heure trente de marche. Ça commence à faire des bornes au compteur du jour.
Effectivement le centre équestre m’accueille. Je m’installe dans un champ aidé de Ramon. Il est déjà bien tard dans l’après-midi.
Nous nous dirigeons vers le centre équestre qui recevait des stagiaires en formation. Ces derniers se préparaient à se mettre à table. Je demande si on pouvait manger sur place. Même des plats très simples. Rien de compliqué. Les dames aux fourneaux se sont concertées puis nous ont annoncé que l’on pouvait manger avec eux. En famille. Il y en avait assez pour nous tous. Une belle tablée. Nous avons parlé surtout avec le papy. Celui-ci avait certainement fondé le centre équestre. Il en était fier. Il y a une bonne relève. Le centre me paraît très dynamique. Le papy nous parle de l’ancien temps un brin nostalgique.
– Tu sais j’adorais emmener des gens en randonnée sur plusieurs jours. C’était génial. Tout le monde mettait la main à la pâte. Aujourd’hui les gens consomment. Ils exigent une prestation sans faille car ils payent comme ils disent. Comme si le fait de payer leur donnait des droits. Certains ne préparent plus les chevaux. Ils montent dessus puis partent. À l’arrivée, ils descendent et l’on doit desseller et rentrer les chevaux à l’écurie. C’est triste d’en être arrivé à ce point. Et puis maintenant les jeunes pensent que du moment qu’ils sont en stage, les diplômes (les divers galops) sont acquis de fait. Ce qui n’est pas une suite logique. Allez donc faire comprendre à certains parents (qui eux payent cher, trop cher certainement) que leur enfant n’a pas réalisé les exercices imposés pour le diplôme. Ils gueulent comme des malades et traitent le moniteur d’incompétent. Pourquoi pas ! Rien ne s’obtient sans travail ni effort. Le monde a changé. Il faut savoir gérer les conflits.
Maintenant à la retraite il laissait ce travail aux plus jeunes. Je ne sais pas s’il exagérait mais cela devient préoccupant si ça se généralisait. Je crains qu’il n’ait raison… On rencontre ce phénomène de société dans certains domaines professionnels et de loisirs.
Après le repas (ils nous l’ont offert) nous sommes partis voir le coucher de soleil en haut du Ballon d’Alsace. C’était flamboyant à l’ouest et d’une pleine sérénité alentour sur les différentes montagnes allongées et alanguies. Personne à cette heure. C’est bien notre chance. Une belle vision circulaire qui allait être engloutie par la fraîcheur tombante du soir. La lune elle aussi était au rendez vous. Elle veillait à l’ordre des choses. Quant aux étoiles, une à une, elles prenaient place là où elles devaient être. Spectacle gratuit ô combien apaisant. De temps en temps il faut regarder le ciel à la tombée de la nuit… Et se taire. Surtout se taire en respirant profondément.
J’avais enfin atteint le Ballon d’Alsace. Dans ma tête ça voulait dire virage vers sud-ouest. J’étais au point septentrional de mon périple. J’étais heureux d’être là. C’était une étape symbolique.
Merci à ma douce Cabotte. Merci.