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Garder la pêche.

Le 13 Septembre 2019, La Chapelle-en-Lafaye.

J’ai passé une bonne nuit. Les pêches englouties sans modération n’ont pas perturbées ma chaîne alimentaire et digestive. Je me porte comme un charme ! Je déjeune avec les deux dernières et un café.

Je me dirige tranquillement vers La Chapelle-en-Lafaye. Aucune difficulté en vue. Une journée de transition en plaine si j’ose dire. Peu de dénivelé. J’ai l’impression d’avoir vécu, ces trois derniers jours, des moments uniques dans de grands espaces. J’en ai encore plein les yeux et la tête. Mamie Arc-en-Ciel s’y promène encore. Je suppose.

À quelques encablures du village je m’arrête près d’une maison. Un couple vint à ma rencontre et m’invita à prendre un café. Renée-Marie et Dominique me proposèrent de m’installer derrière leur maison. Encore une fois je n’avais pas à chercher. Ils m’informèrent qu’ils seraient absents ce soir. Ils me disent aussi que leur voisin avait des chevaux et qu’il devait avoir des granulés pour Cabotte. J’avais tout l’après midi devant moi.

Je me présente chez lui pour lui en demander quelques-uns. Je tombe sur un homme très abordable et lucide avec un brin d’ironie. Notre discussion s’engage sur le terrain complexe du monde agricole. Il était à la retraite. Il se posait la question de l’avenir de l’agriculture et de la transmission de sa ferme. Il en voulait particulièrement à la SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural) et ses dérives, entre autres immobilières.

– Je croyais que la SAFER défendait les intérêts des agriculteurs ?

– Foutaise, ils défendent avant tout les intérêts des lobbies de l’agroalimentaire, des fermes usines, des adeptes de la  monoculture et de l’élevage intensif. Et de l’immobilier pour des investisseurs opportunistes loin du monde agricole. Notre patrimoine semble confié aux plus offrants. Voilà le boulot de ces fossoyeurs de petites fermes comme la mienne. Il n’y a plus d’avenir.

– Pourtant j’ai l’impression d’un renouveau dans le monde agricole. Les jeunes semblent, pour certains, prêts à de nouvelles alternatives… Très intéressantes d’ailleurs.

– C’est vrai, peu y arriveront. L’investissement est tel, surtout si tu n’es pas propriétaire de la terre. Si tu l’achètes, c’est une ruine. Peu y ont accès. Beaucoup se cassent la figure. Soit disant que l’on aide les jeunes à l’installation ! De quels jeunes parle-t-on ? Et pourquoi faire ? Il faut vraiment être motivé ou fou pour se lancer de nos jours dans une telle entreprise.

– Je ne connais pas le problème de fond, mais le bio semble en pleine expansion sur notre territoire. C’est bien un créneau dans l’air du temps ?

– Parlons en du bio, environ 7% sur le territoire national, dérisoire en production. Oui il y a des tendances à la consommation bio. Ça, c’est une réalité. Une mode presque. Mais concrètement les initiatives sont rares et ciblées. Il y a des productions qui s’y prêtent plus que d’autres.

– Il y a pourtant un cahier des charges pour garantir la qualité.

– Une vraie foutaise. Il y a de telles disparités dans la définition du bio ! On ne parle pas de la même chose selon les différents pays du monde. Dans les pratiques de l’Union Européenne, il y a des différences notoires de ce qui est toléré ou pas, entre le Nord et le Sud, l’Ouest et l’Est. Chacun fait à peu près ce qu’il veut. La France semble être un des pays les plus contrôlés en la matière.

– Comment font les supermarchés pour se ravitailler ?

– Allez leur demander ? C’est très obscur, quand je vois le nombre de consommateurs qui disent manger bio… J’ai envie d’en rire ou d’en pleurer d’indignation et de rage. Il faut avoir un sacré budget. Sincèrement si tu veux consommer bio, fais toi un vaste jardin, élève des poules, ramasse leurs œufs, etc. Là tu seras sûr de ce que tu manges. Tu verras c’est du boulot. Un travail à plein temps.

– Je sais. Je sais. Les pommes de terre sont basses et se ramassent en courbant l’échine.

– Exactement, comme les haricots verts, les petits pois, les carottes, conclut-il en rigolant, en me donnant des granulés et des compléments alimentaires pour Cabotte.

Pas facile de travailler la terre. C’est ingrat comme boulot. On ne se nourrit pas en regardant pousser les légumes de son balcon, en apprivoisant une vache dans son appartement, en espérant qu’un fruit bien mûr tombe du ciel, en espérant le suicide apprêté d’un agneau dans notre assiette. Il faut de la patience, du temps et un certain savoir-faire. C’est un fait patent. Marc vient de me le rappeler brutalement. Cet homme avait beaucoup de choses intéressantes à raconter. Je reste sur ma faim ! Il fait partie de ces gens dont on aimerait en apprendre un peu plus. En une demi-heure c’est impossible. C’est un aveu spontané d’une pensée mûrie et argumentée. Un condensé de témoignages sincères.

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