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Des gens de parole.

Le 1er Juillet 2019 Villiers-le-Lac.


Il faisait très chaud sur la route. Le bitume fondait par endroit. La chaleur était suffocante. Les taons tournaient autour de Cabotte. Ils s’acharnaient comme des malades. Ils la piquaient jusqu’au sang. Ensuite les autres mouches arrivaient et s’agglutinaient sur cette micro plaie.
La veille j’ai rencontré un éleveur de vaches. Lui aussi avait des soucis avec les taons.
– Mes vaches deviennent folles. J’ai un produit efficace pour calmer ces saloperies de merde. Demain quand vous serez sur la route de Villiers-le-Lac je vous appellerai. Donnez-moi votre numéro de téléphone. Je viendrai à votre rencontre lui passer ce produit sur les parties les plus vulnérables de son corps.
Il est bien venu. Il a parlé longuement à Cabotte pour la rassurer. Il savait y faire avec les bêtes. Ça se voyait ; il s’y prenait avec un savoir-faire évident. Ses vaches devaient être heureuses avec lui. Un bon éleveur certainement. Cabotte ne cessait de donner des coups de tête à droite et à gauche pour se débarrasser de toutes ces mouches gravitant autour d’elle. Une nuée. Je n’avais jamais vu ça. Il a réussi à la badigeonner de son produit. Elle se laissait faire. Elle avait compris que c’était pour son bien. Elle discerne ce qui est bon ou mauvais pour elle.
– Ca va la calmer deux ou trois jours. Je n’ai pas de produit à vous donner. Après vous verrez.
Il est reparti en nous saluant. Cet homme avait tenu parole. Je n’y croyais pas trop à son coup de fil. Il l’a fait. Cabotte et moi (surtout Cabotte) nous lui sommes reconnaissants de son geste.
Nous avons fait un arrêt sous des arbres pour casser une croûte. Nous allions reprendre la route lorsque une voiture venant d’en face s’arrête à notre niveau. Il baisse le carreau de sa portière puis sans transition nous déverse des flots de paroles. C’était très impressionnant. Il nous explique en peu de temps un extrait de sa vie. Comment et pourquoi, un beau jour, il a pris la route.
– Voilà, c’est simple. Aujourd’hui je dis ça mais en réalité ce fut compliqué. J’avais une entreprise d’ébénisterie. Je travaillais beaucoup et les clients étaient satisfaits. Tout roulait pour le mieux si je puis dire. Je gagnais de l’argent suffisamment pour vivre décemment. Un jour, j’ai une grosse commande de plusieurs mois de travail. Presqu’une année. Un truc qui t’arrive rarement dans ta vie professionnelle. Il en avait pour plusieurs milliers d’euros. Un chantier pour moi colossal. J’ai commencé les travaux sans demander un acompte important. C’était visiblement des gens aisés. Ils menaient un grand train de vie: maison luxueuse et bagnoles assorties, etc. Ils me promettaient de me payer au plus vite. J’avais confiance. C’était une histoire de jours et de banque. En gros, ils ne m’ont jamais payé. Je me suis endetté. Je suis tombé en faillite. J’ai revendu tout ce que je possédais pour éviter de m’enfoncer encore plus. C’est à ce moment-là après une période de déprime que j’ai décidé de prendre le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. C’était la plus belle idée de ma vie. J’y ai pris goût. J’y ai fait de belles rencontres. Je ne peux plus m’en passer. Ce fut pour moi une grande découverte. J’ai tout relativisé d’un coup. On ne vit qu’une fois après tout. Marcher te remet les idées en place. Aujourd’hui, j’organise des voyages à Saint-Jacques de Compostelle pour des personnes qui veulent le faire sans le souci de la logistique : bagages, hôtel, restauration, etc. C’est très intéressant comme boulot. Je suis très souvent sur les chemins. D’ailleurs je m’en vais à Rome. Je pars dans quelques jours. Et toi que fais-tu avec ton âne ?
Enfin je vais pouvoir en placer une. Je lui explique en quelques mots mon projet. Il reprend la parole très rapidement. Sa tête était ailleurs. Mon histoire ne semblait pas être sa préoccupation principale.
– Tu as besoin de quelque chose ?
– Je vais m’arrêter pour la nuit.
– Tu as un endroit pour aller ?
– J’allais me mettre à chercher. C’est l’heure.
Le voilà qui prend illico son portable et téléphone à un certain Fabrice. Celui-ci travaillait comme homme d’entretien à la base nautique (ils organisent des croisières sur le Doubs) Bateaux du Saut du Doubs. Il parlemente ou plutôt négocie avec lui. Il range enfin son portable.
– Bon voilà. Après le rond-point tu vas trouver l’entrée de la base nautique. Ensuite tu demandes à voir Fabrice. Il t’attend. Il va te trouver quelque chose pour ce soir.
– Tu es sûr de ton coup ?
– Ne t’inquiète pas. J’ai tout arrangé. Fabrice est un type bien. Je m’appelle Denis. Et toi ?
– Jean-François et mon ânesse Cabotte.
Il est parti d’un coup en nous souhaitant une bonne continuation dans notre périple. Il devait terminer une bricole chez quelqu’un. Il était pressé. Contradictoire pour un homme qui ne fait que marcher en prenant le temps de respirer.
Je demande Fabrice à la jeune fille de l’accueil. Elle était habillée en tenue comme dans une croisière classique. Un bel uniforme. Ça en jette. La classe. De plus elle était mignonne. Je lui dis que j’attendrai Fabrice dehors.
Voilà Fabrice. Je le sens embarrassé par ma demande ou plutôt celle de Denis. Celui-ci n’aurait-il pas décidé à sa place ?
– Ici ce n’est pas possible. Je n’ai pas le droit sur le site.
– Ce n’est pas grave. Je trouverai ailleurs. Je comprends très bien. Je voulais le rassurer. Il n’y a pas d’obligation. C’est possible ou pas.
Il était préoccupé, cherchait une solution. Il ne voulait pas me laisser en plan. Au bout d’un moment il m’annonce.
– Vous pouvez venir chez moi. C’est à environ trois kilomètres d’ici. Venez avec moi en voiture, je vais vous indiquer le chemin. Je téléphone à ma femme juste pour la prévenir. Elle sera d’accord. Il me montre son jardin. Cabotte aura un grand pré pour elle toute seule.
Je retourne chercher Cabotte. Après une heure de route j’arrive chez Fabrice. Je débâte. Je m’organise pour la soirée. Je me dis que j’ai bien de la chance. Ils me font confiance. Je rentre dans leur espace de vie. Ils me font une place. Je suis chez eux. Je m’installe. Il n’est pas bien grand leur jardin. Je trouve cela formidable. Serai-je capable d’accueillir comme eux le font ? Je mange avec Fabrice et ses trois enfants. Une véritable tribu agitée et bruyante. Vivante. Ce n’est pas facile de gérer tout ce beau monde. Ni de tout repos d’ailleurs. Difficile de contenter tout le monde. Sa femme Sarah, ce jour-là, après son boulot de secrétariat, est partie donner un cours de danse. Comme elle me le dira un peu plus tard.
– Ce n’est pas du classique. Loin de là. Je n’ai pas assez de rigueur. C’est un peu de tout dans beaucoup de plaisir. On s’amuse en dansant. Je donne juste les bases. Voilà. Les gens sont heureux. C’est l’essentiel. S’ils veulent approfondir ou se spécialiser ils doivent aller ailleurs.
Une fois les enfants couchés nous nous retrouvons au calme. Nous discutons un peu. Mais tout le monde est fatigué. Nous sommes tous partis nous coucher. Les parents étaient épuisés de cette journée bien remplie. Un peu de repos et d’intimité. Enfin !
Le lendemain Fabrice est allé chercher du pain frais et des croissants pour le petit-déjeuner. Il avait raison le fameux Denis. Cette étoile filante venue de nulle part. Ce sont des gens bien. Ils savent recevoir l’inattendu visiteur d’un soir.

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