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Vivre chichement lui convient bien.

Le 26 Août 2019 Issy-L’évêque.

Nous arrivons en début d’après-midi à Issy-L’évêque sous une forte chaleur.

Nous étions au centre du village. Je repère rapidement un bar restaurant. Fantastique, je vais pouvoir m’acheter un sandwich et boire un canon de rouge. Après avoir attaché Cabotte à l’ombre d’un arbre je rentre dans le bar. Surprise, c’est un endroit où l’on trouve de nombreux bouquins en langue anglaise. Qui s’intéresse à la littérature anglaise ? Est-ce un café littéraire ? Y-a-t’il une communauté anglaise comme en Dordogne ? Il y avait une mini bibliothèque en libre service. Un petit coin de lecture y était emménagé. C’était très surprenant dans un village comme celui-ci, loin de tout. Visiblement dans ce village quelqu’un aimait lire et le faisait savoir et partager. Il incitait à la lecture. Je me dirige vers le bar. Je m’adresse à la patronne.
– Vous faites des casse-croûtes ?
– Je ne sais pas si j’ai du pain. Je vais demander au cuistot, me répondit-elle avec un zeste d’accent anglais ou hollandais (peut être) en toile de fond. Impossible de deviner l’origine de cette intonation hybride. C’était charmant et très rafraichissant. Elle revint assez rapidement.
– C’est possible. Que voulez-vous que l’on y mette dedans ?
– Ce que vous avez, comme ça vous arrange, à cette heure-ci je n’ai pas d’exigence. En attendant je vais prendre un demi.
Le cuistot, son compagnon certainement, revint avec un casse-croûte (une demi-baguette!) garni de tranches de porc et de tomate, de feuilles de salade, de carottes râpées, de cornichons, de la mayonnaise, le tout en grande quantité. Je ne sais pas si je vais pouvoir tout avaler. C’était très généreux. Je m’installe à une table. Je prends du bon temps. Je mange en mâchant lentement ; je calais parfois, puis repartais, me forçais un peu. Respirais. Je reprends un autre demi pour favoriser la déglutition. Ce n’est pas de sitôt que j’aurai faim.
La patronne vint me voir pour me demander si c’était bien mon ânesse qu’elle apercevait attachée à un arbre.
– C’est Cabotte, vous pouvez aller la voir.
– Je peux lui apporter des pommes et du pain sec.
– Vous pouvez, elle sera heureuse. Elle est gourmande.
Elle revient un quart d’heure après, toute contente d’avoir fait la connaissance de Cabotte.
– Quelle belle bête. Elle est en pleine forme. Où allez-vous vous arrêter ce soir ?
– Je ne sais pas trop. Il me faut trouver un endroit pour Cabotte avec un peu d’herbe. L’herbe se fait rare de nos jours. C’est partout grillé.
– Je connais un paysan à la retraite ; il vient tous les jours boire un coup chez nous. Il devrait arriver sous peu. C’est son heure. Jean devrait pouvoir vous trouver un endroit. Tiens le voilà ! Quand on parle du loup on en voit la queue.
Elle lui parle de mon cas en quelques mots puis il se dirigea vers ma table.
– J’ai un bout de terrain avec de l’herbe. Si vous voulez on peut y aller, c’est en dehors du village, il faut aller voir si cela vous convient. Il y a un puits pour votre ânesse.
– Je vous offre un verre.
– Je veux bien. Il fait chaud. Vous savez, il n’y a pas d’obligation.
– Je sais. Ça me fait plaisir. Asseyez-vous.
Nous arrivons après un quart d’heure de marche à l’endroit pour la nuit. C’était un lieu assez brouillon ; il y avait sur les abords du terrain du matériel agricole à l’abandon envahi d’herbe, un jardin en fin de production, et tout au fond à l’ombre des chênes, près du jardin, un espace suffisant pour Cabotte et moi.
– Pour Cabotte, il y a un puits dans le jardin. Je vous apporterai de l’eau potable pour vous. Je dois m’en aller. Je reviendrai un peu plus tard en fin d’après-midi.
Je lui donne mon jerrican de cinq litres.
Il est parti aussitôt. J’avais du temps devant moi. J’ai débâté Cabotte. Je monterai la tente plus tard lorsque la chaleur sera moins forte. Je déploie mon siège, sors mon portable et me mets à écrire. J’ai tellement de retard à rattraper. Retard que je ne pourrai plus combler. Impossible. Je l’admets sans me démotiver pour autant. Ce n’est point une course. Mais un plaisir. Un désir de vouloir laisser des traces. Se remémorer des instants. On oublie tant de beaux moments.
En fin d’après-midi, il me ramène mon jerrican. J’étais absorbé par ce que j’écrivais. Il me regardait sans m’adresser la parole ? C’est très particulier comme situation. Un peu gênant aux encoignures de mon esprit perturbé. Il n’était pas curieux. Je l’intriguais je crois. Je ferme mon ordinateur pour faire diversion. Je me suis mis à monter ma tente. Celle-ci m’attendait !
Il est parti dans son jardin arroser les tomates. Je le regardais à mon tour travailler. Ses déplacements étaient lents et courts, exécutés avec lassitude et régularité. Il avait le corps d’un paysan usé, courbé par le labeur quotidien de plusieurs années à répéter les mêmes gestes. J’avais cette drôle d’impression que son corps allait se disloquer et s’émietter en marchant. Il tenait, si je puis dire, adroitement debout malgré les irrégularités du sol. Un funambule sans fil. Il était extraordinaire d’adresse. Un beau spectacle.
Il revint vers moi satisfait d’avoir accompli sa tâche. J’étais disponible. Ça tombait bien. Je lui dis.
– Il a fait chaud cette année, c’est partout grillé. Vous avez de la chance d’avoir un puits.
– Le jardin est triste à cette époque. Ce n’est guère une réussite. J’en ai eu suffisamment (des légumes) pour moi et mes proches. Je n’ai pas à me plaindre. Je suis à la retraite.
Après cette introduction, il se mit à parler de lui. De temps en temps, je le relançais lorsqu’il s’égarait dans plusieurs directions d’une pensée spontanée et fugace. Je me devais d’écouter et de comprendre, pas faire semblant. Il le méritait bien.
C’est ainsi que j’appris qu’il avait été paysan (il avait surtout élevé des vaches) en fermage toute sa vie. Les bailleurs étaient une famille suisse aisée œuvrant dans une grande banque suisse. Ils avaient investi dans l’achat d’une vaste demeure « un château ! » et des terres alentours ; ils possédaient un important patrimoine rural. Ils venaient rarement à Issy-L’évêque, mais chaque fois ils s’enquerraient de comment il allait. Il se sentait libre, vivait et avait vécu sans pression ; en gros ils avaient été corrects avec lui. Lui aussi. « On peut être riche, même très riche, et respecter les gens » Ce n’est pas interdit. Il en était le témoin vivant. Les « près de leurs sous » comme il dit sont souvent des arrivistes pétant plus haut que leur cul. Eux ont des exigences envers les autres. Ils ont des tendances procédurières odieuses. Tout est prétexte à un conflit ouvert. Ils doivent maintenir un niveau de vie enviable… Pas facile pour eux de maintenir leur rang. Ils sont toujours en quête d’oxygène.
Il avait pu acheter le terrain sur le lequel j’étais. Il y avait une maison, celle-ci n’était plus habitée depuis bien longtemps. Elle était abandonnée et ne servait qu’à entreposer du petit matériel agricole. Il y avait un peu de tout dans un grand désordre. Lui seul était en capacité d’y trouver la moindre chose. Rien de présentable pour y dormir. Il en avait conscience. Seul, il habitait dans sa famille proche. Je n’ai pas très bien compris chez qui. Ce n’était guère important. Ça semblait lui convenir. À la campagne on peut se sentir esseulé, délaissé sur sa propre terre. La solitude y est parfois forte et prégnante. Ici on la subit plus qu’on ne la choisit. Depuis sa retraite, il y remédiait en donnant de nombreux coups de main aux uns et aux autres. Les agriculteurs le sollicitaient très souvent. C’était son quotidien maintenant.
Il me racontait un concentré de sa vie sans aller dans les détails. Il me donnait l’impression de découvrir cet exercice. Il en était même surpris. Brusquement il s’arrêta comme s’il en avait trop dit.
– Je dois partir. Je vous revois demain, nous irons prendre un café ensemble au bar du village.
– Avec plaisir, lui répondis-je.
Il me tendit la main. Je fus surpris par la poigne de cet homme. Il m’a broyé les os du métacarpe me prouvant ainsi qu’il avait de l’énergie à revendre. Je me suis demandé s’il ne l’avait pas fait exprès…

sdr

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