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Une rencontre bénéfique.

Le 23 Juillet 2019 Saint Baslemont.

Une chaleur suffocante nous écrasait. Encore une fois ! Une journée supplémentaire à en baver. Nous traversions le village, lui aussi en pleine léthargie, assoupi, hors du temps, arrêté. À l’heure du repas du midi nous ne pouvions rencontrer personne. Je n’avais plus d’eau.
J’aperçois une dame sortant de chez elle. J’en profite pour aller à sa rencontre afin de lui demander de l’eau.
Elle me regarde droit dans les yeux, m’observe longuement sans rien dire. J’ai l’impression de l’entendre réfléchir. Se poser des tas de questions me concernant. Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive. Ça reste impressionnant et déstabilisant comme situation. Je reste de marbre, me laisse explorer de la tête aux pieds. Je note que pour la première fois Cabotte n’est pas le sujet prioritaire pour cette dame.
C’est une femme de caractère d’une soixantaine d’années environ (difficile à définir) qui a dû prendre sa vie en main d’une façon vigoureuse et sans concession ni pour elle ni pour les autres. Elle était charpentée comme un homme. Des bras puissants et musclés. C’était impressionnant. Elle avait dû travailler dur la terre. À la campagne la terre est basse. Ses mains étaient abimées mais bien entretenues. Elle était certainement une personne de tête. S’y frotter n’est pas conseillé pour celui qui en aurait l’intention. Je le sens ainsi.
Je regardais cette femme, mais sur son visage une chose me sautait aux yeux comme une incongruité de mauvais goût. Elle était maquillée. Oui maquillée. Un rouge à lèvres rouge vif et épais surlignait sa bouche de deux traits presque vulgaires qui lui durcissait encore plus son visage. Je n’en revenais pas.
Après une longue observation mutuelle elle troubla notre silence et mes élucubrations interprétatives.
Vous voulez de l’eau ?
– Oui de l’eau.
– Pour votre ânesse ?
– Pour elle bien sûr et pour moi aussi.
– Venez suivez-moi.
Nous entrâmes dans une ancienne étable. Il y avait un robinet d’eau. Cette étable était d’une propreté exemplaire. Tout avait une place appropriée. Rien ne trainait. Il y avait de l’ordre et de la méthode. Mais il n’y avait pas eu de vaches depuis bien longtemps. Les odeurs d’étable avaient disparues.
– J’étais une agricultrice. Nous étions des agricultrices ma sœur et moi. Toutes les deux nous avons travaillé dur pour mener notre exploitation dans de bonnes conditions. Nous aimions notre métier. Ça a été toute notre vie. Vous savez, les vaches étaient bien heureuses dans cette étable.
– Je n’en doute pas.
– Maintenant il nous reste hélas que des souvenirs.
Cela confirma ce que j’avais décelé dans sa façon d’être. Une femme singulière n’ayant pas peur de se montrer telle qu’elle était. Point. Je dois avouer qu’un personnage comme elle ne court ni les rues ni les champs. Elle avait une certaine classe et de l’aplomb à déstabiliser les plus audacieux des mâles. Un cas unique dans mes diverses rencontres. Et j’en ai rencontré dans ma vie des personnages décalés hors des temps communs. Mêmes des salauds géniaux à qui on aurait confié le bon Dieu sans confession. C’est pour dire. Rien à voir avec elle.
– Et maintenant que comptez-vous faire ?
– M’arrêter. Il fait trop chaud. Mais vu l’heure ça va être difficile.
– Je ne peux pas vous héberger chez-moi. Le maire de la commune est absent mais vous pourriez aller voir son adjointe. Elle habite près d’ici.
Nous voilà partis chez l’adjointe au maire. Nous nous retrouvons devant le portail d’une grande maison de construction assez récente. Une belle propriété. Je sonne timidement. Ils devaient être en train de déjeuner. Je ne voulais pas les déranger. J’insiste tout de même en prolongeant la durée de la sonnerie. Nous ne sommes pas dans un cas urgent de recherche active. Mais quand il faut sonner il ne faut pas hésiter. C’est un peu forcer le destin. Rien ne bouge. Pas même un souffle d’air… Nous amorcions un demi-tour lorsqu’ une voix de femme nous interpella.
– Ne partez pas. Que voulez-vous ?
– Nous souhaitons nous arrêter dans votre village. Nous n’avons plus la force d’aller plus loin. Il fait trop chaud.
– Attendez-moi je descends.
Nous échangeons quelques mots au sujet de notre voyage. Assez rapidement elle nous propose de venir chez elle. Elle a un immense terrain avec tout au fond un verger. Il y a donc de l’ombre pour Cabotte. C’est l’essentiel.
– Si cela vous convient vous pouvez rester chez-nous.


Nous nous installons tranquillement. Je commençais à savourer l’ombre d’un cerisier lorsque Michelle vint me voir.
– Vous avez déjeuné.
– Non pas encore.
En réalité je n’avais pas très faim. Mais surtout je n’avais pas la force de me préparer quelque chose à manger. La flemme. J’avais plutôt envie de me reposer. C’était ma priorité.
J’accepte. L’idée de manger réveilla aussitôt mon estomac. Une invitation de ce genre ne se refuse jamais quand on voyage comme un vagabond à la recherche d’on ne sait trop quoi.
Lorsque je rentre dans la maison j’ai la surprise de constater qu’il y avait du monde à table. Claude son mari et deux couples de leurs amis. Ils étaient déjà en pleine discussion lorsque je suis arrivé. L’ambiance semblait bien partie. Ils en étaient encore à l’apéro. Au champagne. La classe. Je ne sais pas s’ils fêtaient un événement, mais cela ressemblait à quelque chose de courant chez eux. Comme une tradition.
Je leur exposais mon histoire en quelques mots. Ils me posaient des tas de questions. J’y répondais avec beaucoup d’aisance connaissant les réponses par cœur. J’avais l’habitude. Cinq mois de pratique. J’étais bien entraîné. C’était très clair et précis. Pas besoin de chercher une quelconque raison, lorsque par hasard un doute subsistait tel un nuage dans un ciel bleu. Le champagne servi par Claude commençait à m’émoustiller sérieusement. J’étais bien et j’appréciais la fraîcheur de la maison. C’est bien plus efficace que l’ombrage famélique d’un cerisier. Le repas était copieux. La maîtresse de maison cuisine à merveille et la cave de son mari possède de bonnes bouteilles. C’était bien appréciable et très inattendu.
Nous devisions de sujets très variés surtout de société. Chacun y allait de son témoignage et de ses interprétations sauvages. À un moment donné Michelle m’interpella.
– Comment se fait-il que vous ayez atterri chez nous ? Par quel mystère ? Surtout à l’heure du déjeuner, en pleine chaleur.
Je lui raconte la rencontre de la dame au rouge à lèvres si marqué que l’on ne voyait que cela sur son visage. Une excentricité en pleine campagne.
Michelle et Claude se mirent spontanément à rire. Pas besoin d’en dire plus. Ils avaient deviné dès mes premiers mots.
– C’est l’Eveline. Elle et sa sœur sont des personnages atypiques, très respectées dans le village. Elles font partie du paysage local. Elles sont toutes les deux à la retraite. Fallait les voir sur le tracteur, bien dignes, passant imperturbables dans le village. Elles se foutaient bien de ce que l’on pouvait penser d’elles. Elles étaient comme elles étaient.
Nous sommes sortis de table tard dans l’après-midi. J’étais en condition pour une bonne sieste sous mon cerisier préféré. Une journée qui se terminait en apothéose. C’est-à-dire dans un sommeil profond.

https://youtu.be/LoGzYwGN798

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