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Une histoire sans paroles.

Le 12 Août 2019 Bouilland

Une douce journée s’annonce malgré un temps mitigé. Ce n’est guère important. Je ressens une agréable fraîcheur de bienvenue. C’est le début des vignes de Côte de Nuits-St-Georges. Elles se situent au nord de la Bourgogne sur des coteaux et s’étalent sur des parcelles très bien entretenues. Des rangées de pieds de vigne rectilignes et taillées à la perfection. Pas une feuille ne dépassait. C’est impressionnant de géométrie et de maîtrise. La main experte et diligente de l’homme est passée par là. Du bel ouvrage frisant l’humaine perfection cartésienne. Un pied de vigne vaut ici une fortune et la perte d’un grain de raisin un manque évident à gagner ! Le viticulteur aux aguets ne néglige rien, jusqu’à atteindre l’obsession du travail bien fait. On peut comprendre pourquoi ! On bichonne chaque pied de vigne.
Nous rejoignons assez rapidement le GR 7 après m’être trompé à un carrefour. Encore une fois je me suis mentalement évadé. J’étais parti ailleurs dans la stratosphère. C’est si bon d’être ailleurs. Ainsi passe le temps lorsque marcher devient une occupation quotidienne au long court. J’en profite et respire tous les instants en essayant de rendre extensible chaque minute vécue. Malgré tout, il faut rester vigilant. Il y a relâche aujourd’hui. J’accepte de m’être trompé en m’amusant de mes égarements. En fin de matinée nous atteignons les magnifiques et abruptes falaises de Bouilland.

Nous les longions par au-dessus, sur une espèce de plateau, suivant un sentier étroit par endroit et encombré de broussailles épineuses. Les sacoches en tremblaient mais nous avancions tout de même. Arrivés au bout du sentier, à quelques encablures du village de Bouilland nous avons dû faire demi-tour. La descente devenait périlleuse. Je ne voulais pas gâcher cette belle journée par un incident regrettable. J’aurais pu essayer. Je ne l’ai pas fait.

Je ne regrette pas. Cabotte, elle aussi, ne semblait pas regretter. Aurais-je en moi un brin de sagesse ? Au moins ce périple m’aura appris à savoir renoncer lorsque j’ai un doute. Il n’y a jamais d’urgence à vouloir gagner du temps. Celui-ci s’en moque en ne se rendant pas coupable de nos déboires.

Arrivés au village une dame est sortie de chez elle. Elle a scruté Cabotte de la tête aux sabots, puis après une brève étude (je suppose) générale de celle-ci, s’adressa à moi.
– Je ne serai pas là ce soir. Je vous propose un champ pas très loin d’ici. C’est le mien. Vous n’avez rien à craindre. Si quelqu’un vous demande, vous lui direz que c’est Pierrette qui vous a autorisé à vous installer. J’ai l’habitude d’héberger des personnes. Avant j’avais une caravane. Elle était confortable. Elle dépannait. Quelqu’un l’a « saccagée », c’est bien dommage. Ça devait déranger cette personne ! Ce n’est pas très courageux. Mais bon. C’est comme ça. Demain matin je vous invite au petit déjeuner. Bonne fin de journée.
Elle est rentrée chez elle. Elle était pressée. Cette proposition était spontanée, précise et d’une grande générosité. C’était à prendre ou à laisser. Je le sentais bien. Elle ne m’a rien demandé. Son geste était naturel, désintéressé, dénué de toute envie d’en savoir un peu plus sur ce que nous faisions dans les parages. C’était comme cela. Point final. Retour à la ligne. Passons à autre chose.
Le champ était agréable. Cabotte avait suffisamment d’herbe. Une bonne nuit en perspective. Je n’étais même pas fatigué. Je me disais que j’avais eu une bonne idée de partir. Je ne cessais de penser à Pierrette. En fait elle revenait de temps en temps dans mes pensées les plus diverses. Je le répète, comme pour m’en convaincre « elle ne m’avait rien demandé ». C’est plutôt rare pour ne pas être signalé. À peine quelques mots exprimés. Elle m’avait longuement observé, ce regard quant à lui parlait sans les mots, me parlait dans le sens où inconsciemment je me posais des tas de questions la concernant. La parole dans ce contexte est inutile. C’est ainsi. Il y a des personnes comme cela. Ça se comprend et par déduction vous laisse sans paroles. C’est bien normal puisque vous n’avez pas à répondre. Je peux ici apprécier l’absence des mots. Pourquoi vouloir toujours combler des silences par des gesticulations de mots ?

Le lendemain nous passons devant chez elle. Elle m’attendait pour le petit-déjeuner. Elle était souriante, un peu plus bavarde que la veille me semblait-il. Assez rapidement, je me suis aperçu que c’était moi qui lui posais des questions. Elle restait concise dans ses réponses, pas du tout prête à vouloir aller plus loin dans la discussion. Ce n’était pas dans son style ni dans ses habitudes. Je suppose. Je me devais de me taire. La fermer. La respecter. Je la trouvais mystérieuse. Que pouvait-elle donc penser ? Je ne saurai jamais. Est-il dans ce cas important de savoir ? Allez donc savoir !
Elle fouilla dans ses placards pour me donner quelques conserves. Bien sûr je refusais de les prendre attestant que je n’avais pas de place, que c’était trop lourd, que j’avais plus qu’il ne m’en fallait. En réalité mes réserves étaient à sec. Je ne voulais pas lui vider son placard. Elle avait peu de choses, mais elle insistait, me suppliait de les prendre. J’ai cédé. Mais je n’ai pris qu’une boîte de lentilles saucisses. J’adore les lentilles. J’ai craqué pour les lentilles.

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