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Klara

Le 05 Août 2019 Grancey-le-Château-Neuvelle.

Nous traversons le village médiéval de Grancey-le-Château-Neuvelle perché sur un magnifique éperon rocheux.

Je cherchais un endroit ombragé pour nous poser. Une personne m’indiqua l’ancien camping, fermé pour des raisons économiques et de sécurité. Il n’était plus aux normes. Je serai tranquille. Personne ne viendra me déranger. L’endroit était à l’extérieur du bourg sur un large plateau.
Il ne restait plus qu’un bloc sanitaire fermé, mais je pouvais avoir accès à l’eau. Ce qui est essentiel. L’herbe alentour y était très rare. Je serai obligé de déplacer plusieurs fois Cabotte pour qu’elle ait à brouter un brin d’herbe. Plutôt, arracher un brin d’herbe ! La sècheresse s’installait durablement.
Je m’installai confortablement sous le kiosque, certainement utilisé de temps en temps par les gens du village pour y organiser des fêtes. Il restait encore pêle-mêle, des tables et quelques chaises. Un bon endroit pour moi. De plus, j’ai découvert une prise électrique, j’en ai profité pour recharger ma batterie de secours pour le portable.
Je me suis mis à écrire. L’endroit était idéal. J’étais motivé. J’avais beaucoup de journées à rattraper pour être à jour. Ça devenait de plus en plus compliqué. Je n’étais plus dans le rythme. Le temps ne se rattrape jamais. Je ne pouvais pas lui courir après. J’en ai eu la tentation. Mais très rapidement je me suis aperçu que c’était mission impossible. De plus le but était de flâner. De me laisser porter. De vivre chaque instant. D’aller à la rencontre de l’inattendu. De ceux qui veulent bien de nous. Je prendrai donc des notes. Je suis, par je ne sais quel miracle, capable en quelques mots de créer l’ébauche d’un futur récit. C’est là ma chance. Donc je vivrai ce que j’ai à vivre sans me prendre la tête et ainsi resterai disponible pour les autres.
Alors que j’étais en plein travail d’écriture, un jeune homme et une petite fille toute blonde et frêle vinrent me voir. Ils étaient très prudents dans leur demande. Ils osaient à peine.
– Ma fille Klara aimerait caresser votre âne. Nous n’en voyons pas beaucoup dans le pays. Elle aime les animaux.
– C’est une ânesse, Cabotte. Elle peut aller la voir. Elle se laisse faire. Il ne faut pas la surprendre en passant par derrière. Ne pas faire de gestes brusques.
La voilà partie en courant vers Cabotte. Son père Eric la suivait des yeux. Il était un peu anxieux. Je le rassurais aussitôt.
– Cabotte ressent bien les choses. Elle n’a pas son pareil pour déceler les personnes malveillantes à son égard. Si son dos se raidit le pire est à prévoir : un coup de pied bien placé. Elle se trompe rarement de cible. Mais avant cela, un refus de votre présence est un avertissement. Celui qui ne comprend pas ses divers comportements d’évitement s’expose à des sanctions. Regarde, ce n’est pas le cas de Klara.
En effet Klara inquiète s’était arrêtée à quelques mètres de Cabotte. Celle-ci l’a regardée longuement comme pour l’inviter à venir près d’elle. Klara s’est alors timidement approchée, a posé avec précaution sa main sur l’encolure. Rassurée, elle a commencé à la caresser avec ravissement et respect. Elle n’avait plus peur. Le contact était établi. Elles communiquaient en silence.
– Eric si tu le désires je te propose de bâter Cabotte. Ensuite tu pourras avec ta fille te balader dans les environs. Elle ne demande que cela. Regarde-les, elles s’entendent à merveille. Ça serait bien dommage de ne pas les satisfaire.
Un peu tard, en fin d’après-midi, les voilà partis en balade. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’Éric et sa fille vivaient eux aussi un bon moment ensemble. Cabotte les réunissait d’une certaine façon. Elle s’était octroyé cette mission-là. Jamais elle ne refusait de promener des enfants lorsque cela se présentait.
À leur retour, Klara était radieuse. Elle aurait bien continué ainsi à se balader jusqu’à la nuit. Les bons moments ont hélas une fin. Eric me proposa d’emmener Cabotte près de chez lui, il y avait plus d’herbe. Il m’invita aussi à manger le soir avec eux. Klara était aux anges.
Eric était un jeune papa proche de sa fille. Il vivait seul. Sa compagne l’avait quitté pour quelqu’un d’autre. Il s’en remettait difficilement. Il m’avoua qu’il n’avait pas su y faire. Il ne comprenait pas ce qu’il lui était arrivé. Il ne lui en voulait pas vraiment. Un peu tout de même. Beaucoup peut-être. C’était leur histoire. Elle était récente et douloureuse. Complexe certainement. Il ne voyait sa fille que de temps en temps. Cela le perturbait. Venait aussi s’ajouter les contingences matérielles d’une séparation. Tout cela le rendait malheureux et nerveux, de plus il avait cessé de fumer. Il cumulait les emmerdes comme il disait. Il en voyait difficilement la fin. Peut-être qu’il aimait encore son ancienne compagne ? Allez savoir. Je le répète : c’est leur histoire. J’évite tout jugement en ce domaine privé et intime.
Eric est un jeune gars très dynamique et bavard. C’est-à-dire curieux à bon escient. Il est tuyauteur-soudeur et gagne très bien sa vie. De plus, il a travaillé un temps en Suisse où un type (grâce à ses compétences et au change) gagne, ce que je peux nommer ici, une petite fortune en comparaison à ses collègues travaillant en France. Mais il a choisi de revenir dans son pays. Son territoire de prédilection est son village. Il est bien ici dans sa maison en bois à l’orée de la forêt. Il vient juste de la terminer. Sa famille est d’ici.
Nous discutions beaucoup ; la table est près de son barbecue. Les saucisses et les côtes de porc sont bien cuites, les pâtes comme je les aime : un peu molles mais pas trop. Le vin et la bière coulent en abondance. Un bon moment de partage.
Ce jeune homme, imposant et sportif, est d’une grande sensibilité. Aujourd’hui il se sent amoindri par son histoire mais demain il saura rebondir. J’en suis certain. En attendant il reprendra le sport. Il a une énergie débordante et généreuse. Il doit compenser la cigarette. Tout reviendra dans l’ordre des choses.
Le lendemain klara s’est levée tôt pour nous dire au revoir. Elle y tenait vraiment. Elle nous regardait partir sans quitter des yeux Cabotte. À quoi pensait-elle ?

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